Resituons le décor [1] : la Cour de Cassation à Paris accepte en octobre 1898 de recevoir la demande de révision du procès de décembre 1894 qui avait condamné Alfred Dreyfus pour espionnage au profit de l’Allemagne. Le 3 juin 1899, elle déclare la révision possible. Zola, exilé en Angleterre en mai 1898 après son second procès, regagne la France le 5 juin 1899.
Un nouveau procès de Dreyfus a lieu au Conseil de guerre (tribunal militaire) de Rennes en août et septembre 1899. C’est la « révision » tant demandée. Rennes a été choisie pour éloigner l’action du bouillonnement parisien. Mais la capitale bretonne sera tout de même le décor de nombreux affrontements et manifestations pendant les cinq semaines du procès (l’avocat Labori, défenseur de Dreyfus, reçoit une balle dans le dos le 14 août).
Et, contre toute attente, Dreyfus est reconnu à nouveau coupable, cependant avec « circonstances atténuantes ». Il est condamné à dix ans de prison [2].
Parmi les écrivains qui s’installent à Rennes pour suivre le procès, un grand absent : Emile Zola. Il préfère rester à Paris, pour ne pas attiser les violences et ne pas jouer en défaveur de Dreyfus. Il prétend être convaincu de l’issue positive du procès.
Maurice Barrès s’installe 9 rue Le Bastard, au fond d’une cour, en haut d’un escalier de bois, et Octave Mirbeau à l’Hôtel Moderne, alors quai Lamennais.
Lucie Dreyfus est hébergée par Mme Godard, 25 rue de Châtillon (aujourd’hui la partie Sud de la rue J.-M. Duhamel), à quelques dizaines de mètres de la prison militaire (dont l’emplacement est aujourd’hui occupé par France 3 Bretagne et le théâtre de Rennes). Elle préfère ne pas assister au procès et s’en faire transmettre chaque jour les comptes rendus.
Le Café de la Paix, situé à l’angle du quai Lamennais et de la rue de Nemours, est un lieu de repos, d’information et de rencontre entre le lycée et la plupart des hôtels qu’occupent les acteurs et témoins du procès. Demange est logé Hôtel de France, qui existait alors rue de la Monnaie. Casimir Périer, Arthur Meyer (directeur du journal Le Gaulois), Bernard Lazare, la journaliste Séverine, le commandant Forzinetti (ancien directeur de la prison du Cherche-Midi) ont une chambre à l’Hôtel Moderne. Cavaignac est logé par le procureur Martin, rue d’Orléans.
Le quartier général des dreyfusards se trouve faubourg d’Antrain (aujourd’hui rue d’Antrain) : au 86, la propriété du Gros Chêne, où habite Victor Bash, professeur à la Faculté de Lettres, qui héberge pendant le procès Jaurès, Psichari… ; au 66 (en face de la demeure du général de saint-Germain, qui héberge le général Mercier), le restaurant Les Trois Marches (devenu le restaurant Lecoq Gadby, 156 rue d’Antrain), qui cuisine pour Bash et ses invités et accueille ceux-ci, ainsi que Picquart, Mirbeau, etc.
Sources (disponibles à la médiathèque Champs libres à Rennes) :
Rennes et Dreyfus en 1899. Une ville, un procès. Colette Cosnier et André Hélard. Editions Horay, 1999.
Cinq semaines à Rennes. 200 photos de Greschel. F. Juven éditeur.
[1] Voir 2e balade littéraire sur les pas de Dreyfus et Zola à Paris.
[2] L’incohérence de ce jugement sera balayée le 19 septembre par la grâce présidentielle accordée par Émile Loubet, poussé en coulisse par le président du Conseil, Waldeck-Rousseau. Dreyfus retrouve sa liberté.