Marion Aubin est [1] la sympathique et dynamique directrice de la Maison d’Émile Zola à Médan (Yvelines). Son agenda est déjà bien rempli de travaux de restauration et d’aménagement de la maison, de participations à divers salons, rencontres, conférences, envois de mailings, etc. pour promouvoir la Maison en France et à l’étranger. Mais un nouveau projet y figure depuis quelques mois : l’ouverture d’un musée Dreyfus.
L’année 2006 va en effet placer Dreyfus et Zola sur le devant de l’actualité. Le capitaine Alfred Dreyfus, accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne en 1894, a été innocenté en 1899 et réhabilité en 1906. Pour fêter ce centenaire, un musée Dreyfus ouvrira en 2006 sur les terres de son plus illustre défenseur : l’auteur de "J’Accuse" [2].
Dépassant les considérations politiques sur l’Affaire, le comité porteur du projet, présidé par Élie Wiesel, souhaite surtout lui redonner tout son éclairage historique et littéraire, et (ré)expliquer pourquoi et comment cet épisode mouvementé et incroyable de notre Histoire a bouleversé la société, les médias et les pouvoirs de l’époque.
Le musée Dreyfus : un lieu dédié à la défense de la vérité, de la tolérance et de l’antisémitisme
Les travaux qui commencent chez Zola poursuivent un double objectif : recréer dans ses jardins l’atmosphère de la propriété du siècle dernier, et ouvrir le premier lieu de mémoire en France consacré à Dreyfus. Financés par la DRAC, le Conseil régional, Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, ces travaux débutent par la création de jardins redessinés par le paysagiste Pascal Cribier, concepteur, avec Louis Benech, des nouveaux jardins des Tuileries. On y trouvera en particulier des végétaux évoquant l’île du Diable, où a été exilé Dreyfus.
L’ancienne ferme de Zola sera en rez-de-jardin réaménagée en musée permanent sur l’Affaire et en espace d’exposition temporaire. À l’étage, une salle de 90 places accueillera projections de films, séminaires et rencontres. La maison du jardinier, toute proche, accueillera les classes de lectures-ateliers d’écriture et classes du patrimoine destinées aux scolaires.
Le musée Dreyfus présentera entre autres une partie de la collection de 500 pièces achetée par Pierre Bergé en 1998 à Drouot.
"C’était une maison à sauver"
Comment une commerçante entreprenante de Parly 2, certes passionnée de Maupassant, est-elle arrivée chez Émile Zola ?
Marion Aubin et son mari Jean-Pierre sont de la race des sauveteurs de patrimoine. C’est cet intérêt pour le patrimoine - davantage qu’un intérêt de prime abord pour Émile Zola - qui les attire vers la "cabane à lapins" de l’auteur des Rougon-Macquart.
Cela commence par leur arrivée en 1977 dans les communs du château de Médan. Quelques semaines après leur achat de la ferme et du colombier du château, ce dernier - alors en ruine - est mis en vente aux enchères. La menace qu’un promoteur immobilier ne le rase pour reconstruire du neuf n’est pas à écarter.
Les Aubin s’en portent acquéreurs avec un rêve : redonner au bâtiment son allure Renaissance. Onze ans de travaux - en commençant par la suppression de sa plus grande aile - seront nécessaires pour restaurer l’extérieur et l’intérieur de ce bel édifice du XVe siècle qui avait subi de nombreuses dégradations, en particulier depuis la dernière guerre.
Quelques centaines de mètres plus bas, la maison de Zola avait été léguée en 1905 à l’Assistance publique par sa femme Alexandrine. Elle sert de pouponnière pour enfants convalescents de 1907 à 1967, d’école d’infirmières à partir de 1967, puis d’école d’ambulanciers entre 1979 et 1990.
Une tradition zolienne survit cependant tout au long de ces années : celle du pèlerinage littéraire annuel qui a lieu chaque premier dimanche d’octobre.
Les fonctions qu’occupe Marion Aubin au conseil municipal de Médan entre 1983 et 1995 la placent un jour de 1984 aux côtés de Jean-Claude Leblond-Zola (petit fils de l’écrivain), lors d’une réunion en préfecture. C’est le déclic. Il s’agit d’une maison à sauver de l’abandon. L’Association du Musée Émile Zola est créée cette même année. Le musée, aménagé dans une partie de la maison, est inauguré en 1985 par Maître Maurice Rheims, président de l’Association.
L’aventure naît donc d’une rencontre en 1984, et se poursuit non pas à coup de millions investis et de soutiens de personnalités, mais… de visites autorisées par l’Assistance publique, le dimanche, pour des groupes notamment de l’association Vieilles maisons françaises, des Monuments historiques, etc.
Bientôt, le propriétaire du lieu autorise également des visites le samedi. Marion Aubin et d’autres passionnés servent ainsi de guides bénévoles pendant plusieurs années.
En 1990, L’Assistance Publique décide de cesser l’exploitation de la maison, tout en restant propriétaire des murs et en continuant de prendre en charge les dépenses de chauffage et d’électricité.
Année après année, la reconstitution d’éléments du décor et du mobilier d’époque se poursuit. Son expérience de restauration du château de Médan a livré à Marion Aubin tous les secrets du calepinage, des carrelages polychromes et des sondages de murs ! L’idée n’est pas de faire de la maison un musée où chaque objet serait étiqueté, mais plutôt une demeure encore habitée dans tous les sens du terme. L’association ne souhaite pas non plus restaurer "à neuf" et masquer l’empreinte du temps écoulé.
Consolider le sauvetage
L’avenir du musée reste cependant bien fragile. Un appel au mécénat est lancé avec l’appui de la presse. Cela gagne à l’Association du Musée Zola un soutien déterminant : celui de Pierre Bergé, président d’"Yves Saint Laurent Couture", qui mène à la création de l’Association pour le Rayonnement de l’Oeuvre d’Émile Zola (AROEZ), que celui-ci préside [3].
Aujourd’hui, l’Élysée soutient officiellement le projet de l’AROEZ (rebaptisée pour la circonstance "Maison Zola\musée Dreyfus"), puisque Jacques Chirac devrait inaugurer en personne le musée Dreyfus dans quelques mois. La Direction du livre et de la lecture a par ailleurs confié à Anne Borrel, conseiller pour le Livre et la Lecture à la DRAC du Centre, une mission d’étude et de propositions afin de déterminer comment l’État pourrait accompagner au mieux le projet.
Des classes à la découverte de Zola et Dreyfus
L’ouverture du musée Dreyfus doit faire doubler l’affluence annuelle à Médan, et attirer en particulier des publics scolaires encore plus nombreux (ils représentent une petite moitié des visiteurs).
La Maison Zola propose à ceux-ci des ateliers d’écriture-classes de lecture sur trois journées. La première et la dernière se déroulent au sein de l’établissement scolaire, la seconde à Médan.
Ces classes de lecture [4] seront en 2006 un excellent moyen pour permettre aux jeunes publics de découvrir l’histoire de l’affaire Dreyfus. Espérons que des soutiens plus importants de la Direction du livre et de la lecture et du ministère de l’Education nationale permettront d’accueillir à Médan de nombreuses classes en 2005 et 2006 !
Pour tout contact : Maison Zola - Musée Dreyfus, 78670 Médan. Tél : 01 39 75 35 65, fax 01 39 75 59 73. La maison Zola est ouverte les samedis, dimanches et jours fériés de 14h à 18h30. Des visites commentées se déroulent les samedis et jours fériés à 15h et 16h30 et les dimanches à 14h30, 15h30, 16h30 et 17h. La maison peut être visitée par les groupes sur rendez-vous, toute l’année.
[1] NB : Marion Aubin a quitté ses fonctions de directrice en janvier 2007, tout en demeurant secrétaire générale du Musée Emile Zola.
[2] NB : la date d’ouverture a été repoussée à 2008.
[3] Qui signera en 1998 avec l’Assistance publique un bail emphytéotique de 99 ans.
[4] Profitons-en pour signaler l’existence d’un document remarquable, qui vient combler un grand manque : le document " Activités pédagogiques. Mode d’emploi" qui vient d’être publié par la Fédération des maisons d’écrivain. Voir www.litterature-lieux.com.
Vive notre chère Marion, dont j’ignorais qu’elle fut naguère commerçante, mais dont je connais bien et apprécie le dynamisme entreprenant.
Je lui ai communiqué récemment la copie d’une étonnante lettre d’Alain-Fournier à Charles Péguy - la première, datée du 28 septembre 1910 - où le jeune homme fait part à son aîné de son admiration pour son combat ; en voici un extrait :
"Pour nous, l’affaire Dreyfus est déjà de l’Histoire. Pour ceux qui ont vingt ou vingt-cinq ans, l’affaire Dreyfus est comme pour moi, sans doute, ce numéro du journal "L’Aurore" où la lettre “J’accuse” était publiée et qu’on avait envoyée à tous les instituteurs de France. Mes parents avaient à peine voulu la lire tant elle les inquiétait. J’en avais couvert un de mes cahiers et longtemps je l’ai gardée sous les yeux, sans la comprendre.
Mais maintenant je comprends. Je vois. Tout le passage où vous montrez Dreyfus héros antipathique m’a paru extraordinairement tragique. Je me rappelle qu’autrefois j’entendais dire par les anti-Dreyfusards : “Même ses partisans ne l’aiment pas !”. Je vois, je sais en lisant votre livre combien vous autres, ses partisans, vous avez dû souffrir de cela."
Je lui ai suggéré d’obtenir du Centre Charles Péguy d’Orléans un fac-similé de cette belle lettre et j’espère qu’elle pourra prochainement être exposée au futur Musée Dreyfus.
Michel Baranger,
secrétaire de l’Association des amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier
secrétaire général adjoint de la Fédération des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires.