La chute de la colonne Vendôme

16 mai 1871 : un après-midi pas comme les autres
Le jeudi 6 octobre 2005.

Histoire drôlatique des événements du 16 mai 1871.

"On va déboulonner la colonne"

Cette chute de la colonne

par Bernard Vassor

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Félix Pyat.

C’est le 12 avril à la séance de minuit que le projet de démolition de la colonne Vendôme fut proposé par Félix Pyat. Etaient présents : Augustin Avrial, Camille Langevin, Emile Léopold Clément, Jean baptiste Clément, Benoît Malon, Blanchet ( Pourille, dit), Albert Theisz, Jules Vallès. Les citoyens Jean baptiste Clément, Langevin et Avrial demandent le rejet du décret (C’est une version reprise par les « Articles et décrets de la Commune », mais on sait que comme les comptes rendus des séances du « Journal Officiel de la Commune », étaient souvent, soit tronqués soit erronés, ce qui obligeait les participants à réclamer des démentis qui n’étaient pas toujours publiés. On verra par exemple que le même J.B.Clément dans la séance du 27 avril demandera la destruction « complète » de la colonne Vendôme). Avrial propose la date du 16 avril pour les élections complémentaires.
Courbet, qui ne sera élu membre de la Commune que le 16 avril utilisera plus tard, pour sa défense cet argument devant le conseil de guerre.

Le mardi 26 floréal (16 mai) le journal officiel de la Commune publie : Le citoyen André Gill, est nommé délégué comme administrateur provisoire du musée du Luxembourg. Les citoyens Chapuis Jean, sculpteur, et Gluck peintre lui sont adjoints pour l’assister dans ses fonctions.
Sur proposition de la commission fédérale des artistes, le citoyen Oudinot Achille, architecte et peintre, est délégué comme administrateur des musées du Louvre, les citoyens Héreau Jules, peintre et Dalou, statuaire, lui sont adjoint pour l’assister dans ses fonctions secondaires.

Le 16 mai

Vers midi une foule de parisiens se dirige vers la place Vendôme où est prévue à 14 heures la démolition de la colonne, symbole pour certains membres de la Commune, du despotisme , du parjure du 18 brumaire jusqu’à la honte de Sedan, le tout couronné par deux invasions. Les balcons et les fenêtres des rues de la Paix et de la rue de Castiglione, ainsi que ceux de la place sont occupés par un grand nombre d’officiers, d’officiels et de curieux. Cependant, les ouvriers travaillent encore sur l’échafaudage masqué par une toile. Les uns agrandissent l’ouverture jusqu’à l’escalier, assez large pour livrer passage à un homme, les autres continuent du côté de la rue de Castiglione, à scier horizontalement la pierre, en observant une légère inclinaison. L’entaille représente un tiers, et la partie sciée un autre tiers.
L’ingénieur Jules Iribe « Ingénieur civil, membre du Club Positiviste de Paris, et agissant en cette qualité » s’était engagé par contrat, à procéder à la destruction de ce monument, le 5 mai, jour anniversaire de la mort de Napoléon I°. Il lui avait été alloué pour ces travaux 28000 francs, avec un dédit de 500 francs par jour de retard. L’entrepreneur Ismaël Abadie était chargé de diriger les travaux..
Des artilleurs barrent la rue de la Paix, et filtrent le public pour laisser circuler sur la place ceux qui sont munis de laissez-passer. La rue Neuve des Petits-Champs est barrée par des artilleurs montés à cheval, la carabine au poing, ainsi que la rue de Castiglione, où des curieux se pressent pour apercevoir une dernière fois dans un ciel sans nuage, cette colonne où un drapeau rouge fixé à la balustrade, flotte mollement, et masque par moments le visage de l’effigie de l’empereur. Trois cordages attachés au sommet pendent en attendant d’être fixés au cabestan.

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La préparation de la démolition de la colonne.

Un lit de fascines, de fumier et de sable a été répandu dans l’axe de la rue de la Paix, pour amortir les vibrations. Les devantures des boutiques sont toutes fermées, et les fenêtres de la place sont couvertes de bandes de papier collant. Dans la foule de plus en plus dense (environ 20.000 personnes) des rumeurs circulent : La chute, va provoquer l’effondrement des égouts de l’Opéra ! La colonne va s’écraser sur les maisons de la place !

Appuyé contre la grille entourant le monument, un jeune commandant d’un bataillon de « Turcos » se tient debout vêtu d’un pantalon, d’un képi et d’une vareuse rouge sur laquelle scintillent une triple rangée d’aiguillettes d’or.
Sur la place, à l’heure prévue, la musique du 190° bataillons de la Garde nationale dont les cuivres étincellent, entonne la « Marseillaise » ; le « Chant du Départ » est exécuté par le 172° bataillon. Devant le ministère de la justice au numéro 10, le général Bergeret 40 ans occupe l’état -major de la Garde nationale. Il a été chargé de l’organisation et la direction de tous les services militaires. C’est un homme maigre, aux cheveux noirs, le teint bistré, dont la physionomie reflète l’énergie, ou plutôt l’opiniâtreté ; il a été désigné pour présider cet évènement.

Jules Miot 61 ans, maire du XIX ° arrondissement, l’ancien pharmacien, de grande taille avec sa longue barbe blanche, Félix Piat 60 ans, déguisé en dompteur avec deux revolvers à la ceinture, Gustave Tridon, 30 ans, fils de parents riches, élève du lycée Bonaparte (Condorcet), devenu socialiste à Sainte-Pélagie sous l’influence de Blanqui son voisin de cellule, avocat, élu du V°, le visage pâle. Gabriel Ranvier, 42 ans peintre sur laque, maire du XX °, Théophile Ferré 24 ans du 152° bataillon, élu du XVIII ° arrondissement, tout petit, le nez busqué, le visage envahi par une barbe noire, tous ces membres de la Commune ceints de leur écharpe rouge à glands d’or, attendent solennellement le « déboulonnement ». Georges Cavalier polytechnicien, ingénieur en chef des promenades et jardins dit « Pipe en Bois », s’affaire, allant des hommes de peine en train d’épaissir le lit de sable, de fascines et de fumier, à d’autres manouvriers parmi lesquels le « Piémontais » qui entourent le cabestan ancré à la bouche d’égout de la rue de la Paix que l’on avait omis ou négliger d’étayer.

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Georges Cavalier, dit "Pipe en Bois".

Georges Cavalier va et vient sans cesse d’un groupe à l’autre (Edmond de Goncourt note dans son journal qu’à cet instant, étant dans le jardin des Tuileries, dans l’allée qui regarde la place Vendôme, des chaises jusqu’au milieu du jardin ; et sur ces chaises, des hommes et des femmes qui attendent de voir tomber la colonne de la Grande Armée… Je m’en vais (…) quand je repasse à 6 heures dans les tuileries, là où fut le bronze autour duquel s’enroulait notre gloire militaire, il y a un vide dans le ciel et le piédestal tout plâtreux montre, à la place de ses aigles, quatre loques rouges voletantes).Sa rancœur aurait été encore plus grande si il avait vu son ennemi juré « Pipe en bois » superviser les opérations de démolition.
Simon Mayer, chef d’état-major commandant de la place, monte par l’escalier intérieur sur la plate forme du sommet de la tour pour enlever le drapeau rouge qui y était planté. La colonne avait été sciée horizontalement au-dessus du piédestal, une entaille en biseau avait été faite pour faciliter la chute en arrière sur le lit de fagots de sable et de fumier. Les ouvriers font tomber les débris de pierres réduites en poussière. La toile de l’échafaudage est enlevée. Des dessinateurs prennent des croquis.

15 heures 30 :
Les ouvriers descendent de l’échafaudage. On fait éloigner tout le monde. Chacun se range autour de la place. Glais-Bizoin cédant à un mouvement d’ardeur juvénile se découvre et félicite Théo Ferré le nouveau délégué à la police en remplacement de Cournet.
La musique joue la « Marseillaise », c’est l’heure tant attendue. Le silence se fait, la foule retient son souffle, les câbles se tendent sous l’action du cabestan qui tourne mais soudain, Crac… la poulie se brise, un homme est blessé. Les membres de la Commune, l’entrepreneur, l’ingénieur et Georges Cavalier se précipitent vers le cabestan. Dans la foule des rumeurs de sabotage circulent.
Les officiels arrivés près du treuil défaillant pressent l’entrepreneur de le remplacer dans l’heure qui suit sous peine de poursuites. L’ingénieur Iribe part chercher une autre poulie. Pendant ce temps sur la place, on déplace des canons qui étaient restés autour de la grille et qui risquaient d’être écrasés, ainsi que la lunette de « l’Astronome » ; celui-ci installé en permanence sur la place, racontait moyennant finances à l’aide de son instrument l’histoire du ciel. La lunette de Galilée, pendant les préparatifs du chantier, avait servi de cantine aux bataillons chargés de surveiller les opérations. On enlève également le milieu de la barricade construite en pavés Le temps s’écoule, la musique fait patienter la foule, on descend des chaises du ministère pour des dames auxquelles des soldats galants offrent des rafraîchissements, les fenêtres et les balcons se vident des invités de marque et se réunissent dans le grand salon, orné d’un tableau de Daubigny (membre de la Fédération des Artistes), La Moisson. L’avocat Eugène Protot 32 ans, élu du XI °, « Ministre » de la justice, préside la réception ou sont conviés amis, journalistes et élus. Des petits groupes se forment, certains commentent la prédiction de Henri Heine trente ans plus tôt : « Déjà une fois, les orages ont arrachés du faîte de la colonne Vendôme l’homme de fer qui pose sur son fût et en cas que les socialistes parvinssent au gouvernement, le même accident pourrait lui arriver une seconde fois, ou bien même la rage d’égalité radicale serait capable de renverser toute la colonne afin que ce symbole de gloire fût entièrement rasé de la terre. »
A 16 heures, les ouvriers remontés sur le piédestal augmentent l’entaille du fût à coups de pioche et enfoncent des coins dans la blessure au pied de la colonne.

Des vétérans racontent qu’en 1814 des royalistes, au cours d’une manifestation conduite par le marquis Maubreuil d’Orvault, avaient tenté, en s’aidant d’un cordage fixé au sommet de la tour et relié à des attelages, de renverser la colonne, et avaient vu la corde céder. On fit alors appel au sculpteur Chaudey qui avait exécuté la statue du César Napoléon ; qui fit scier les pieds de la statue, et la fit descendre à l’aide d’un treuil. Un ouvrier déroba le globe surmonté d’une « Victoire Ailée » que l’empereur tenait dans sa main gauche. Ce vol permit la conservation de cette œuvre, car le reste du monument de Chaudey fut fondu et servit à la réalisation de la statue équestre d’Henri IV sur le Pont Neuf. La cime de la colonne fut ornée d’un immense drapeau à fleurs de lys. L’histoire de cette « Victoire » ne s’arrête pas là…
En 1833 Louis-Philippe, quand il fit refaire une statue par le sculpteur Seure, imposa à celui-ci d’inclure dans son ouvrage le globe terrestre surmonté de la « Victoire ailée » (qui avait été retrouvés chez un receleur) et que César devait tenir dans sa main droite, ce qui fut fait.
Un badaud, goguenard, raconte qu’au siècle dernier, vécut Reine Violet, la petite-fille de la mère Roquille tenancière du cabaret borgne du chemin boueux de l’égout de la Grande-Pinte, aujourd’hui rue de la Chaussée d’Antin (emplacement de l’église de la Trinité). Cette jeune fille, crieuse de l’ « Ami du Peuple », le journal de Marat, voulant se pendre par dépit amoureux à la statue équestre de Louis XIV sur cette même place, fut écrasée par la chute du monument qui était mal fixé sur son socle.

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Gustave Courbet.

17 heures 15
La musique se tait brusquement. Un officier paraît sur la balustrade, enlève le drapeau rouge qu’il remplace par un étendard tricolore et le fixe à la grille ; les ouvriers quittent l’échafaudage. Protot et ses invités reprennent place au balcon et pour la seconde fois au signal du clairon les gardes nationaux déblayent la place. L’officier a disparu. Il descend l’escalier. Sous l’effort conjugué d’une demi-douzaine d’hommes, le cabestan vire, les trois câbles se tendent et se rejoignent lentement. Un grand silence se fait. Tantôt, les regards se portent alternativement sur la partie sciée et sur la statue. La foule autour de la place retient son souffle. Un nuage blanc passe et dans sa marche on croit sentir bouger la colonne.
Ceux qui sont sur le balcon du ministère voient le monstre frémir, osciller, résister une dernière fois, puis s’incliner vers la rue de la Paix, se casser dans le ciel en trois morceaux formant un zigzag, et tomber sur le lit de fagots qui, sous l’impact, sont éparpillés de part et d’autre à plus de dix mètres. Le bruit sourd est couvert par une clameur qui jaillit de la foule électrisée qui lance des : Vive la République ! Vive la Commune !. Un nuage de poussière obscurcit un instant la place. Ne reste au milieu que le socle débarrassé de ses quatre aigles impériales juchées au sommet qui avaient été sciées la veille. Les 76 anneaux de granit recouverts de 354 fines plaques de bronze sont à terre. L’empereur gît sur le dos, décapité. Sa tête couronnée de lauriers a roulé sur le sol jusqu’au bord du trottoir. Un ouvrier, machinalement la repousse du pied pour la rapprocher du corps mutilé. Le bras droit s’est brisé dans la chute. La boule surmontée d’une victoire ailée (encore elle !), que César tenait dans sa main droite, s’est également détachée. Elle a été dérobée par un anglais qui la ramènera dans son pays. Ses descendants en feront don au château de la Malmaison où elle se trouve actuellement.

Des badauds rompent le barrage des sentinelles et se précipitent pour ramasser des trophées. La mince pellicule de bronze recouvrant les anneaux de pierre est surveillée étroitement par des Gardes nationaux. Le métal doit être renvoyé à l’Hôtel de la Monnaie pour y être fondu. Le drapeau rouge fixé par un officier de marine flotte sur le piédestal resté debout. L’acteur Adolphe l’escalade, et le bras tendu vers le ciel, sa tunique de Garde national ouverte sur la poitrine, déclame : Je n’ai jamais chargé qu’un être de ma haine ! Soit maudit, ô Napoléon ! Mais on ne le laisse pas poursuivre, on veut entendre Bergeret qui fait une brève intervention. Il est suivi par Miot qui, plus longuement, fait un discours convenu. Après lui, Ranvier dit exactement la même chose. Pendant ce temps, la foule bourdonne autour de la colonne, des groupes posent devant l’objectif de Bruno Braquehais, le photographe du boulevard des Capucines.
Dans les salons du ministère, Gustave Courbet, le visage sombre montre à ses amis un monceau de lettres anonymes le menaçant de toutes sortes de tourments et lui faisant voir l’avenir avec inquiétude. Il dira à Jules Vallès : « Elle m’écrasera en tombant, vous verrez ».
Sur la place, la foule se faisant plus pressante, un peloton d’artilleurs à cheval arrive au grand trot pour dégager la place, tandis que des musiques aux accents des « Girondins » entraînent un millier de personnes vers l’Hôtel de Ville où se sont transportés Miot, Champy et Ranvier pour annoncer que la place Vendôme s’appellera désormais : « Place Internationale ».

Emprunts :
Louis fiaux ; Histoire de la guerre civile de 1871 G.Charpentier 1879
Jules Claretie ; Histoire de la révolution de 1870-1871 ; _ Aux bureaux du journal « l’Eclipse » Paris 1872
Journal Officiel de la Commune réimpression de 1872
Maxime Vuillaume ; Mes cahiers rouges au temps de la Commune ; Babel 1998
P.O.Lissagaray ; Histoire de la commune de 1871 ; La Découverte Paris 2000
Jules Andrieu ; notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris de 1871 Spartacus Paris Sans date.
Georges Cavalier ; Les Mémoires de « Pipe-En-Bois » Champ Vallon 1992
Archives de la préfecture de police.
Archives de Paris (remerciements Christiane Filloles)
E. et Jules de Goncourt Journal Tome II , Laffont , Paris, 1989
William Serman La Commune de Paris, Fayard Paris, 1986
Lucien Descaves, Souvenirs d’un ours, Les Editions de Paris 1946
Jean Maitron (sous la direction de), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier,
Procès verbaux de la Commune de 1871, T.1., Emile Leroux, Paris 1924
Jules Castagnary, notes de Bertrand Tillier, Gustave Courbet et la colonne Vendôme, Plaidoyer pour un ami mort, Du Lérot éditeur, Tusson, Charente
Archives Pierre-Henry Zaidman
Archives B.V
Mémoire sur les archives de la G.n par Remy Valat
Bibliothéque Jacques Doucet
Guide des sources du mouvement communaliste, Collectif parution 2006



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