Je sens que le Parnassien, qui a d’abord été moi, se dissout et s’évapore… J’ai toujours été du reste l’œil sur le Maître, sur l’artiste surnaturel et magique, le plus artiste à mon sens, Edgar Allan Poe, auquel peut pleinement s’appliquer le vers de Mallarmé sur Gautier : « Magnifique, total et solitaire ».
Paul Valéry. Lettre à Albert Dugrip, 1890.
Esprit absolument nuageux, vulgaire, décadent, un Paul Verlaine dont l’administration n’a que faire.
Appréciations recueillies par Valéry en 1895, lors du concours de rédacteur au ministère de la Guerre… auquel il est reçu.
Levé avant cinq heures, il me semble à huit avoir déjà vécu toute une journée par l’esprit et gagné le droit d’être bête jusqu’au soir.
Valéry, expert des méditations matinales.
Paul naît en 1871 à Sète, 65 Grande rue.
Après avoir étudié au collège de Sète qui porte aujourd’hui son nom, il entre à l’automne 1884 au lycée de Montpellier. La famille emménage rue de l’Ecole-de-droit. Paul aime la mer et les mathématiques et compulse des livres d’architecture à la bibliothèque Fabre. Il peint.
En février 1886, les Valéry s’installent 3 rue Urbain-V.
Paul est très influencé par À rebours et Huysmans, qui lui fait découvrir Verlaine, Mallarmé qui va devenir son maître, et les Goncourt.
Il effectue en 1889-1890 son service militaire à la caserne des Minimes à Montpellier, mais est autorisé à prendre part au banquet à 1200 convives donné en mai 1890 à Palavas pour le 6e centenaire de l’université de Montpellier, où se lie avec Pierre Louÿs. Les années 1890-1891 voient le début de sa correspondance avec Mallarmé, sa rencontre avec André Gide, venu le voir à Montpellier sur le conseil de Louÿs, et la publication de ses premiers poèmes dans la Revue indépendante, La Conque…
Il séjourne à Paris en septembre 1891, à l’hôtel Henri IV, rue Gay-Lussac. Il rend bientôt visite à Huysmans à son bureau au ministère de l’Intérieur, rue des Saussaies, puis à Mallarmé. Il se désespère en 1892 - jusqu’à s’arrêter quelque temps d’écrire - de ne parvenir à la maîtrise de Mallarmé et de Rimbaud.
Les Valéry s’installent 9 rue de la Vieille-Intendance, toujours à Montpellier, à l’automne 1893, dans ce qui est peut-être la maison natale d’Auguste Comte.
Début 1894, Paul emménage à Paris, dans une petite chambre 12 rue Gay-Lussac. Il participe à des « mardis » chez Mallarmé, rue de Rome. Ses amitiés et rencontres se nomment Gide, Régnier, Louÿs, Hérédia… Valéry commence cette année-là le premier des 257 cahiers sur lesquels, pendant 51 ans, il va consigner ses réflexions.
Il devient en 1897 fonctionnaire au ministère de la Guerre.
Il quitte la rue Gay-Lussac pour la rue de Beaune fin 1899. Le 31 mai 1900, il épouse à l’église Saint-Honoré d’Eylau Jeannie Gobillard, nièce du peintre Berthe Morisot. Il quitte en juillet le ministère de la Guerre pour - pendant plus de 20 ans - travailler à mi-temps auprès d’un administrateur de l’agence Havas. Il emménage 57 avenue Victor Hugo en octobre.
L’été 1901 le trouve à Saint-Georges-de-Didonne. Un autre lieu de villégiature apprécié sera Perros-Guirec.
Sa dernière adresse est - à partir de 1902 jusqu’à sa mort en 1945 - le 3e étage du 40 rue de Villejust (devenu rue Paul Valéry), dans la maison construite pour Berthe Morisot et son mari Eugène Manet, frère d’Edouard - il fera d’autres séjours à Montpellier, par exemple début 1924 chez son frère, 1 rue Fournarié.
Le 2 avril 1913, il est présent à l’inauguration du théâtre des Champs-Elysées, avenue Montaigne, dont il a suivi la construction et où il assiste bientôt aux spectacles de Diaghileff, Nijinski, Chaliapine, etc.
La publication de son poème La Jeune Parque le fait sortir de l’inconnu en 1917. Entre deux mondanités, il assiste le 12 avril 1919 à la conférence de Léon-Paul Fargue dans la librairie d’Adrienne Monnier, 7 rue de l’Odéon. Adrienne, Breton, Gide et Fargue lisent des textes de Valéry.
Rainer-Maria Rilke découvre son œuvre et en fait son ami. Les années 1920 et 1930 sont peuplées de conférences qu’il donne en France et en Europe. En novembre 1929, il assiste à une conférence d’Einstein à Paris, et le conduit jusqu’à Henri Bergson, alors hôte de la clinique de la rue Piccini.
En mai 1940, l’exode le pousse jusqu’à hôtel Albion à Dinard. Il regagne Paris en septembre.
Il décède le 20 juillet 1945. Ses funérailles ont lieu à l’église Saint-Honoré d’Eylau ; son cercueil est ensuite porté sur la place du Trocadéro. Le 27 juillet, il est enterré au cimetière marin, à Sète.
Source : Paul Valéry, Oeuvres, La Pléiade.
"le luxe de la langue", on a pu dire cela à propos de la richesse et de la maîtrise de l’écriture valéryenne.
Il n’est vraiment aucune leçon à donner, à quiconque ! Le but de la poésie est bien de charmer l’existence, pas de la compliquer… Cependant… Les personnes tentées par l’acquisition de certaine aisance, de certaine agilité dans les pratiques d’écriture liront ce qu’Elena vient d’écrire dans les pages d’un article consacré à Paul Valéry… On verra à quel prix, de quelle peine, le "luxe" de la langue a pu être acheté.
" Connaissez-vous ce sonnet (irrégulier par ailleurs !) ? Je le trouve plutôt bien… malgré son irrégularité. Il faut écouter ses occlusives - Q, G - comme dans "seC, orGueil, eXcès…", et leurs résorptions en chuintantes - CH, J - comme dans "Gemmes, Jus"… Il y a une métaphore, un sens caché ("le sens doit être caché dans les vers comme la valeur nutritive dans les fruits") mais on s’en fiche ! C’est d’abord un régal de sonorités…
LES GRENADES (à lire lentement, intensément, phonème à phonème)
Dures grenades entr’ouvertes,
Cédant à l’excès de vos grains,
Je crois voir des fronts souverains
Eclatés de leurs découvertes…
Si les soleils par vous subis,
O grenades entrebâillées,
Vous ont fait d’orgueil travaillées
Craquer les cloisons de rubis,
Et que si l’or sec de l’écorce
A la demande d’une force
Crève en gemmes rouges de jus,
Cette lumineuse rupture
Fait rêver une âme que j’eus
De sa secrète architecture.
P. Valéry
(Paul Valéry qui disait : "Il y a toujours gros à parier que des vers sont mauvais.)
ICI COMMENCE L’HISTOIRE
"L’évolution de Valéry est une véritable leçon technique - je parle de l’évolution de son écriture.
"Il y a les poèmes de jeunesse, dans lesquels Valéry (comme ses contemporains) meuble un peu lourdement ses alexandrins d’adjectifs à tous les angles. La syntaxe est bien faible. Mais ces premiers poèmes, rassemblés vingt ans plus tard sous le titre Album de vers anciens contiennent du Valéry à venir. L’ « ambre » par exemple, la « vendange », les « mouvements » du poème Anne (1890) appartiennent au lexique futur. La Jeune Parque 1913-1917 se souviendra de la figure féminine charnelle, du sommeil vaporeux et de l’amertume marine.
"Les presque vingt années durant lesquelles Valéry ne fit plus de vers l’ont arraché (qu’il l’ait ou non voulu) aux tics poétiques de l’époque. Il pouvait regarder de loin ce qui se faisait un peu partout… Il s’étonna lui-même de revenir au vers après une si longue absence. "Qui me l’aurait dit, je lui eusse ri au nez !" En revanche il n’avait jamais cessé d’écrire ses fameux Cahiers. Tous les matins très tôt, "entre la lampe et le soleil", il notait, creusait, enchaînait ses réflexions sur tous les sujets qui excitaient son esprit curieux et inlassable - sciences, politique, poétique, psychologie, linguistique, esthétique… (Il le fit toute sa vie.) Je peux croire que l’efficacité recherchée de ces notes quotidiennes dut forger la qualité de leur expression, - et renforcer par la suite l’exigence de l’écrivain poète.
"A plus de quarante ans Valéry revint donc au vers – aux vers plutôt ! - avec difficulté, commençant d’abord par réunir, puis reprendre, retoucher, corriger voire réécrire tous ses premiers poèmes en vue de la publication que Gide avait souhaité en faire (dans sa Nouvelle Revue Française). Il voulut composer une quarantaine de vers d’adieu à la poésie. Ces quarante lui devinrent un quasi-enfer quotidien durant quatre années (1913-1917), d’où sortirent finalement le long monologue (cinq cent douze vers) de La Jeune Parque. (Il faut lire, si l’on est intrigué par cette douloureuse "remontée au jour" poétique, les lettres que Valéry écrivait à ses amis - Pierre Louÿs, André Gide… - durant cette période, dans ce Paris anxieux que les armées allemandes approchaient de plus en plus, dans ce calvaire d’un autre ordre de réalité qui était celui de la Grande Guerre.)
"Chose malgré tout amusante - mais aussi chose sérieuse, qui peut plaire aux lecteurs les plus techniquement intéressés par l’évolution de l’écriture valéryenne, comme de toute écriture d’ailleurs… En l’occurrence : le poète confesse qu’à ce moment pénible, c’est la redécouverte de Racine – à travers les récitations qu’il faisait faire à ses enfants des tirades apprises pour le collège - , qui lui apprit lui devenu adulte de quel ordre relevaient précisément les difficultés du poème qu’il s’efforçait d’écrire. Jamais probablement, sans ces récitations, il n’aurait exhumé Racine de ses propres souvenirs de collégien. Surtout surtout : jamais non plus, il n’aurait si profondément pris conscience de la nature et de la qualité de l’art de Racine ! (La leçon m’a toujours semblé fabuleuse.)
"Ce qui étonnait beaucoup Valéry, était d’abord l’impuissance dans laquelle il se trouvait, devant tout fragment de Racine, d’en modifier heureusement le moindre mot.
"Il s’étonnait encore, que Racine se soit refusé les facilités d’un vocabulaire plus exotique (de Ronsard à Racine, la réduction quantitative du lexique est très sensible). Non, Racine n’use guère que des "charmes" "larmes" "rigueur" "lois" "cruauté" "amour"… pour déployer avant tout la mobile virtuosité de son génie syntaxique et musical. Nul ne donne plus que lui relief à ses figures verbales, sans cesse renouvelées, dans un si constant souci de l’harmonie phonétique.
"La difficulté d’écrire une longue suite d’alexandrins sans les béquilles de mots trop étrangers au contexte, mais en variant constamment les tropes, est extrême. Valéry sentit intérieurement le "délice" de cette exigence (non plus intellectuelle que sensorielle) canalisée, tendue, soutenue et virevoltante, tout à fait proche de ce qu’il cherchait en composant. (De fait beaucoup de poètes chéris dans sa jeunesse en perdirent un peu d’éclat…) (Chut !)
"Récompense encore : « Chaque fois que j’améliore, renforce la qualité proprement phonique, phonétique, de mon poème, sa puissance sémantique, signifiante, se trouve augmentée… » Cette observation renvoie à quelque réflexion sur l’origine du langage. (Aveu : tout ce que j’écris là, c’est un poète et metteur en scène qui me l’a révélé. Je travaille avec lui par périodes. Quand il dit du Racine, du Valéry, j’ai l’impression que j’étais passée à côté de quelque chose de familier sans l’avoir jamais regardé vraiment, en fait sans le voir. J’ai l’impression bizarrement très agréable d’un sens complémentaire apporté par la propriété timbrée du son, que la diction détaille sans en avoir l’air… Comme s’il y avait des strates, une profondeur ou un relief indécelable à la lecture de surface (qui se laisse emporter par le sens et l’histoire.) Bref !
"Valéry a reçu cette leçon racinienne en pleine figure, il ne l’a pas assimilée d’un coup.
"Malgré le succès du poème publié il considérera toujours la Jeune Parque comme un exercice (cf. la dédicace du poème à André Gide). Les poèmes du recueil Charmes ont profité des « muscles » acquis par ce travail, de l’aveu même de l’auteur. Le Cimetière marin (le plus fameux poème) est encore lourd d’un riche vocabulaire. Il ne doit son état actuel qu’à l’impatience de Jacques Rivière qui l’arracha quasiment au bureau de Valéry, qui souhaitait le travailler encore et encore… « Ce que je fais ne me semble jamais assez mien » déclarait le poète.
"Les Fragments du Narcisse en revanche – trois fragments publiés de 1922 à 1926 – sont une réussite assez étonnante. Le monologue est bien plus fruité, plus riche de diphtongues, de voyelles nasales, et plus coloré que celui de La Jeune Parque. On y trouve des vers « XVIIe » remixés moderne, à savourer par tous les pores, intensément… Comme un … soleil ( ?) :
"(Narcisse parle, penché sur le miroir d’eau)
(…) Profondeur… Profondeur… Songes qui me voyez,
Comme ils verraient une autre vie,
Dites : ne suis-je pas celui que vous croyez ?
Votre corps vous fait-il envie ?
Cessez, sombres esprits, cet ouvrage anxieux
Qui se fait dans l’âme qui veille ;
Ne cherchez pas en vous, n’allez surprendre aux cieux
Le malheur d’être une merveille :
Trouvez dans la fontaine un corps délicieux…
(…)
Mais ne vous flattez pas de le changer d’empire.
Ce cristal est son vrai séjour ;
Les efforts mêmes de l’amour
Ne le sauraient de l’onde extraire qu’il n’expire…
PIRE.
Pire ?…
Quelqu’un redit Pire… Ô moqueur !
Écho lointaine est prompte à rendre son oracle !
De son rire enchanté, le roc brise mon cœur,
Et le silence, par miracle,
Cesse !… parle, renaît, sur la face des eaux…
Pire ?…
Pire destin !… Vous le dites, roseaux,
Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde !
Antres, qui me rendez mon âme plus profonde,
Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt…
Vous me le murmurez, ramures !… Ô rumeur
Déchirante, et docile aux souffles sans figure,
Votre or léger s’agite , et joue avec l’augure…
Tout se mêle de moi, brutes divinités !
Mes secrets dans les airs sonnent ébruités,
Le roc rit ; l’arbre pleure ; et par sa voix charmante,
Je ne puis jusqu’aux cieux que je ne me lamente
D’appartenir sans force d’éternels attraits !
"Ecoutez encore ceci, qui annonce déjà le Valéry plus âgé, décanté, plus abstrait :
Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux
Que de ma seule essence ;
Tout autre n’a pour moi qu’un cœur mystérieux,
Tout autre n’est qu’absence.
Ô mon bien souverain, cher corps, je n’ai que toi !
(…)
Est-il don plus divin de la faveur des eaux,
Et d’un jour qui se meurt plus adorable usage
Que de rendre à mes yeux l’honneur de mon visage ?
Naisse donc entre nous que la lumière unit
De grâce et de silence un échange infini !
(…)
Mais la fragilité vous fait inviolable,
Vous n’êtes que lumière, adorable moitié
D’une amour trop pareille à la faible amitié !
"Vous n’êtes que lumière, adorable moitié
D’une amour trop pareille à la faible amitié ! Wow ! un inédit de Racine ?
"Mais je vous parlerais de Valéry sans fin."
Je te comprends Elena !
Et aux lecteurs soucieux d’autres échos, d’infinis échos phonético-poético-politico-esthétiques ( !) je soumets moi liens suivants :
Sur les jugements et les valeurs poétiques :
http://www.toutelapoesie.com/VALEURS-POETIQUES-JUGEMENTS-t21176.html
Sur un projet poétique et théâtral :
http://theatreartproject.com
Questions de rythme :
http://www.discutons.org/POESIE__QUESTIONS_DE_RYTHME___Louis_Latourre-Sujet-45585.html
Autres :
http://polartblog.blogspot.com/2008/06/son…ntemporain.html
http://polartblog.blogspot.com/2008/08/mal…blique-des.html
Sans doute s’agit-il d’un copié-collé, la coquille perdure La leçon est "D’appartenir sans force à d’éternels attraits"vous avez très bien corrigé.
Ce texte est moins difficile à lire si l’on sent combien sa musicalité participe au sens, il suffit de l’écouter pour l’entendre. Mais l’habitude de survoler les mots, la lecture rapide (il y a même des personnes fières de lire plusieurs romans par semaine !) nivelle la richesse de l’expression phonétique.
Bonjour, je voudrai savoir quel texte ce trouve sur le mur du Trocadéro à Paris. Pour moi, c’est très important à cause d’une surprise pour ma voisine de 83 ans qui admire beaucoup Paul Valéry. Merci d’avance ! Edwin Crabbe Mgr Van Goethem Plein 18/3 B_2140 Antwerpen Belgique
ps : je suis à Paris je 2 juillet afin de retrouver le texte et de le photographier !
Vos désirs seront comblés en découvrant la page suivante :
http://clg-beaumarchais.scola.ac-paris.fr/CHAILLOT/inscriptions.htm
Bon séjour en France !
M. Teste.