Le restaurant Batifoulier à Audierne

Le dimanche 20 mai 2012.
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Les murs de l’ancien Hôtel du Commerce (auparavant encore hôtel Batifoulier) sont toujours debout, à l’angle du quai et de la place de la République

Entre Noël 1883 et l’été 1884, Octave Mirbeau s’isole à Audierne afin d’oublier l’échec de sa relation sentimentale avec Judith Vimmer (qui inspirera son roman Le Calvaire - lire la belle préface de Pierre Michel ci-dessous). Il s’installe à l’hôtel Batifoulier, avant d’emménager ailleurs.

Le voyage de M. Renan dans sa chère Bretagne a remué en moi tout un monde de souvenirs et d’impressions, et je revois, pour ainsi dire, jour par jour, les huit mois que, l’année dernière, je passai en un des coins les plus sauvages du Finistère, sur cette grève horrible et charmante de la baie d’Audierne, qui va des gouffres noirs de la Pointe du Raz aux rochers homicides de Penmac’h. La jolie petite ville d’Audierne est là, devant mes yeux, et tous les détails de sa vie pittoresque surgissent un à un et passent devant moi, comme les goëlands qui tournoient au-dessus de l’eau bleue de son port. Sur le quai, les maisons blanches s’alignent, coupées de jardins et de chantiers bien abrités des vents de suroît par le coteau où poussent quelques pins maritimes et des chênes verts. Les chaloupes de pêche pressées les unes contre les autres font sécher leurs voiles couleur de rouille qui claquent dans le vent, ou bien leurs filets étendus d’un mât à l’autre, ces longs filets qui quadrillent le ciel de mailles roses. Une goëlette, à la svelte mâture, au bordage peint en vert, débarque du charbon, que des ouvriers empilent dans leurs petites charrettes, attelées de bœufs enchemisés de lin gris. Près de la Marine, deux douaniers causent avec des pêcheurs ; d’autres pêcheurs entrent dans les débits de boisson ; et sur son banc, majestueusement assis, Batifoulier, l’hôtelier fameux à plus de cinquante lieues à la ronde, Batifoulier, qu’illustra Bertall et que portraitura Guy de Maupassant, fume sa pipe, les mains appuyées sur ses genoux, et surveille le père Provost qui radoube son canot sur la cale. Des escouades de petites ouvrières en béguin aplati, en fichu clair, se rendent aux usines laissant derrière elles des odeurs rances de poisson. Des vieilles tricotent et font les cent pas en causant, tandis que des paysans du Cap, à la veste courte, aux braies flottantes, aux longs cheveux qui pleurent sous le chapeau de feutre, amènent un chargement d’orge que doit fréter un lougre de Paimpol. Là-bas, sous les arbres de la place, des anciens se chauffent au soleil, et des femmes raccommodent des filets.
 
Et les mouettes passent, s’élèvent, plongent, rasent l’eau qu’elles battent de leurs ailes, emplissent l’air de leurs cris, ou bien se laissent mollement bercer par le flot qui monte. Des canots que des mousses conduisent à la godille traversent le port et vont s’amarrer à l’estacade de Poulgoazec, qui, sur l’autre rive, échelonne gaiement ses maisons de pêcheurs, ses usines de sardines, et sa petite église en ruine dont le clocher menace de s’écrouler. Derrière le pont qui relie la route de Plozévet au village d’Audierne, du haut d’un coteau fermant l’horizon, l’hospitalier château de Loquéran mire sa belle façade dans la rivière de Pontcroix, large ainsi que le Danube, et qui bientôt se perd au tournant des rochers, entre les rives hérissées de sapins noirs et de landes mélancoliques.
 
Les Eaux muettes, Octave Mirbeau.

Dans un article sur Douanenez dans le tome 43 de la Revue des Deux Mondes, André Theuriet trace en 1881 un tableau un peu moins romantique de la ville et de l’hôtel :

Nous remontons en voiture, et, cinq kilomètres plus loin, nous voyons la tour de la collégiale de Pont-Croix surgir du milieu d’un massif d’arbres ; la route coupe en écharpe un versant de châtaigniers qui domine le cours du Goayen, et bientôt voici Audierne, bâti aux flancs de collines pelées, au long d’un quai de granit où stationnent des bateaux de pêche. La petite ville, sombre, maussade, sans verdure, exhale une insupportable odeur de rogue. Au moment où nous y entrons, la cloche du déjeuner sonne à l’hôtel du Commerce, et nous nous précipitons affamés vers la salle à manger. La table est présidée par l’hôte lui-même, un colosse dont la mine et le nom (il s’appelle Batifoulier) éveillent des souvenirs pantagruéliques. — Robuste, pansu, carré des épaules, la tête ronde, brune et rasée, l’œil luisant et la moustache militaire, il rappelle un peu Alexandre Dumas père, vers la fin de sa vie, avec beaucoup de vulgarité en plus, et en moins, l’éclair de bonté spirituelle qui illuminait la figure du fécond romancier. Cet hôte rabelaisien est majestueux et solennel comme un homme pénétré de l’importance de sa fonction. La serviette carrément nouée sous le menton, les manches retroussées, les coudes écartés, il découpe une langouste avec le sérieux et la pompe d’un grand-prêtre procédant à un sacrifice antique. Puis il en distribue les fragmens aux convives, et remplit leurs verres avec l’air de leur dire : « Prenez, ceci est ma chair ; buvez, ceci est mon sang. » Les convives affamés et pressés de repartir souhaiteraient un peu moins de cérémonie.
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Téléchargez une ancienne vue de l’Hôtel du Commerce (ex-hôtel Batifoulier)
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Téléchargez Le Calvaire, par Octave Mirbeau


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