Henry JAMES à Rye

Le lundi 5 novembre 2007.

« Il existe une vieille distinction démodée entre le roman de caractères et le roman d’action qui a dû beaucoup faire sourire le romancier conscient, passionné par son travail. […] Il y a de bons et de mauvais romans, comme il y a de bons et de mauvais tableaux ; […] c’est la seule distinction qui ait un sens à mes yeux. » Henry James, L’Art de la fiction.

Lamb House se trouve depuis 1722 en haut de West street à Rye, près de Folkestone. Henry James vit ici de 1898 à l’automne de 1914 une des plus longues stations de sa vie nomade. Il y compose Les Ailes de la Colombe, Les Ambassadeurs et La Coupe d’or.

Les invités célèbres de Lamb House ne se comptent plus : Joseph Conrad, Stephen Crane, Ford Maddox Ford, H. G. Wells, George Bernard Shaw, Edith Wharton, Rudyard Kipling (qui vient en voisin depuis Bateman’s et dont la Rolls Royce refuse de repartir en fin de journée ; James le reconduit à la gare), etc.

Un absent de marque cependant : Robert Louis Stevenson, grand ami de James mais qui a quitté l’Europe depuis 1887.
James et Stevenson s’étaient rencontrés à Bournemouth au printemps 1885, James étant venu visiter sa soeur invalide et Stevenson y cherchant dans sa maison de Skerryvore une amélioration de sa santé après un séjour à Davos et un autre à Hyères. Les deux hommes avaient déjà discuté littérature à distance, Stevenson ayant écrit Une Humble remontrance après que James a publié en 1884 dans le Longman’s Magazine L’Art de la fiction. Une correspondance avait ensuite démarré, que le départ des Stevenson pour les Etats-Unis en 1887 avait intensifiée [1].

Dans son chapitre « Le secret du récit : Henry James » [2], Tzvetan Todorov s’intéresse à ce qui déroute lecteurs et critiques dans l’œuvre d’Henry James. Ceux-ci reconnaissent en général à ses nouvelles et romans une perfection technique mais un « manque de grandes idées, l’absence de chaleur humaine. […] James était rangé parmi les auteurs inaccessibles au lecteur commun ; on laissait aux professionnels le privilège de goûter son oeuvre par trop compliquée ». Todorov explique que ce qui déroute ainsi le lecteur d’aujourd’hui est à ses yeux ce qu’il appelle « le secret du récit jamesien » (surtout dans ses œuvres conçues entre 1892 et 1903) : James fait reposer ses histoires sur « une cause absolue et absente », qu’il s’agisse d’un personnage, d’un événement, d’un objet dont le récit est une conséquence et une recherche, mais qui n’est jamais entièrement dévoilé, sauf dans quelques rares cas. Le lecteur qui attend que lui soient dévoilés les ressorts – même superficiels – de la réalité ne peut donc qu’être désarçonné par la plupart des nouvelles et romans de James.
Todorov termine son analyse en s’intéressant à une variante du récit, « où la place qu’occupaient successivement le caché, le fantôme et le mort se trouve prise par l’œuvre d’art », faisant des nouvelles de James sur l’art « de véritables traités de doctrine esthétique ». Dans la nouvelle La Mort du lion (1894), l’intérêt que porte le public à un écrivain célèbre s’attache uniquement à sa vie et non à son œuvre. Or, pour le narrateur, rien ne sert de connaître la vie pour comprendre l’œuvre. Le thème est similaire dans La Maison natale (1903), où les conservateurs de la maison natale d’un poète, transformée en musée, s’interrogent sur la vraisemblance et l’utilité des traces laissées dans la maison par la vie du poète. « En fait, il n’y a pas d’auteur […] Il y a tous ces gens immortels – dans l’œuvre ; mais il n’y a personne d’autre », dit le conservateur, qui, pour pousser plus loin la logique de l’absurde, invente des moments faux mais vraisemblables de la vie du poète… et voit son salaire doubler !

Autres adresses d’Henry James
L’écrivain, né à New York en 1843, vit en 1875-76 à Paris, où il rencontre Tourguenev, Zola, Daudet, Flaubert, Maupassant. Il demeure alors 29 rue de Luxembourg (devenue rue Cambon). Son autre adresse parisienne est le 58 rue de Varenne. Il s’installe en Angleterre en 1876, après quelques séjours qu’il y avait déjà effectués. Il vit neuf ans au 3 Bolton street dans le quartier de Mayfair à Londres. Il emménage en 1886 au 34 De Vere Gardens à Kensington, qu’il continue d’occuper jusqu’en 1902 tout en s’installant à Rye en 1898. Il a passé l’été 1896 à Point Hill, près de Rye. Il loue Lamb House en 1897 et l’achète en 1899.
Juste avant la Première guerre, il achète un appartement 19 Carlyle Mansions à Chelsea, où il demeure jusqu’à sa mort en 1916 (où T. S. Eliot vivra de 1946 à 1957 dans l’appartement n°24, et Ian Fleming également, dans les années 1950 [3]).

A lire également :
- The Sixth Continent. A Literary History of Romney Marsh. By Iain Finlayson. 240 pp. New York : Atheneum.
- Passionate pilgrims : the Americain traveler in Great Britain, 1800-1914, par Allison Lockwood, Fairleigh Dickinson University press, 1982.

Sources :
- article " Henry James’s Sussex Haunt"d’Allison Lockwood sur http://query.nytimes.com
- Henry James et Robert Louis Stevenson, une amitié littéraire, correspondance et textes présentés par Michel Le Bris,
- L’Art de la prose, Tzvetan Tedorov, Points Seuil.

A voir sur le Web :
- la société Henry James,
- le guide du Web jamesien, par le professeur Richard D. Hataway,
- www.henry-james-in-chelsea.org.uk

[1] Pour plus de détails, lire la passionnante et copieuse introduction de Michel Le Bris à Henry James et Robert Louis Stevenson, une amitié littéraire.

[2] Poétique de la prose, Points essais n°120.

[3] Voir www.rbkc.gov.uk/vmtours/chelseawalk/vm_cw_lawrencestreet.asp.



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