Nous avions déjà échappé à quelques monstres sur les grands boulevards et aux alentours du cimetière Montmartre (Vampires, monstres et morts-vivants dans la capitale (1)). Aujourd’hui, côtoyons à nouveau la mort, la folie et l’horreur autour des berges de la Seine…
Nous prendrons soin d’éviter la rue Saint-Jacques, où, selon toute apparence, Charles Dexter Ward a séjourné pendant l’été 1924 à la recherche - à la Bibliothèque nationale - d’éléments pouvant l’aider à procéder à la résurrection des morts. Comme il apparaît que Ward a trouvé ce qu’il cherchait, il se peut qu’il hante encore le quartier (L’Affaire Charles Dexter Ward, H. P. Lovecraft).
1) Dans le magnifique - encore aujourd’hui - buffet du Train bleu, au premier étage de la gare de Lyon, s’ouvre La Conspiration des poissonniers (Dick Hérisson, Didier Savard). Les adorateurs de Shub-Ur-Kur - « Celui qui dort sous les mers » - y font une victime sous les yeux du détective Dick Hérisson.
2) Au Muséum d’Histoire naturelle du Jardin des plantes, le 4 novembre 1911 à 23h45, un œuf de ptérodactyle éclot dans Adèle et la bête (Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Tardi). Il fera bientôt plusieurs victimes, dont deux non loin de là sur le pont au Change.
3) Charles Nodier, adaptateur du Vampire de Polidori et auteur de nombreuses nouvelles fantastiques, demeure de 1824 à 1844 3 rue de Sully, dans la Bibliothèque de l’Arsenal dont il est conservateur.
4) Lorsque, venant d’Auvergne, Lestat arrive à Paris en 1780 avec son ami Nicolas, tous deux logent au 6ème étage d’un immeuble de l’île de la Cité (Entretien avec un vampire, d’Anne Rice). Comédiens de rue, ils courent les théâtres, croisent des exécutions place de Grève (place de l’Hôtel de Ville), et se font bientôt embaucher dans le théâtre de Renaud, sur le boulevard du Temple : Lestat comme acteur à tout faire, Nicolas comme violoniste. Lestat va bientôt recevoir de Magnus, qui le surprend chez lui sur l’île de la Cité, le « don des ténèbres », qui le rend plus puissant que les autres vampires et l’arrache au théâtre. Nicolas, enrichi, vit ensuite seul dans un bel hôtel de l’île Saint-Louis, quai d’Orléans ou quai de Béthune. La mère de Lestat, mourante, trouvera refuge dans un appartement voisin de l’hôtel de Nicolas.
5) Celui qui se prénomme lui-même le lycanthrope (l’homme-loup), Pétrus Borel, habite au 6 quai de Béthune (disparu depuis) à la fin des années 1830.
6) La Place de Grève (place de l’Hôtel de Ville) est préférée à la place de la Révolution (place de la Concorde) comme lieu révolutionnaire d’exécutions en série par Washington Irving dans L’Aventure de l’étudiant allemand et par Borel dans Gottfried Wolfgang. Nous sommes en 1793 environ, et un jeune allemand arrive à Paris pour échapper à ses turpitudes et étudier. Il en repartira fou après avoir croisé une mort-vivante.
A cette époque, on exécute place de Grève les criminels de droit commun ; les « politiques » sont exécutés place de la Révolution, place du Trône-renversé (de la Nation) ou place du Carrousel.
Début 1833, considérant que la place de Grève doit garder davantage le souvenir des journées révolutionnaires de juillet 1830 que des têtes tranchées, les autorités décident de déplacer la guillotine place Saint-Jacques, à l’angle entre la rue du faubourg Saint-Jacques et du boulevard Saint-Jacques. Puis sa place sera près de la prison de la Roquette entre 1851 et 1899 (voir ci-dessous), et ensuite à l’angle du boulevard Arago et de la rue de la Santé. A partir de 1939, les exécutions ne sont plus publiques.
7) Est-il besoin de rappeler que Quasimodo a hanté les tours de Notre-Dame ?
C’est également du haut de ces tours que le pithécanthrope est entraîné dans une chute mortelle par Espérandieu, le savant fou (Le Savant fou, Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Tardi).
Un monstre bien plus redoutable est Lestat, que nous retrouvons ici en mauvaise posture à l’intérieur de la cathédrale, assailli par les vampires de la capitale qui vont l’entraîner ensuite au cimetière des Saints-Innocents, leur demeure parisienne (Lestat le vampire). Situé jusqu’à 1786 à l’emplacement actuel de la place Joachim du Bellay et de la fontaine et de la rue des Innocents, ce cimetière accueille, sous ses galeries qui hébergent des fosses communes, deux millions de cadavres en sept siècles : les morts de plusieurs paroisses parisiennes, les victimes des épidémies, etc. On peut avoir une idée de ces galeries en voyant aujourd’hui les voûtes des boutiques entre la place et la rue de la Ferronnerie.
Jusqu’au XVIIe siècle, avant l’apparition de squares et d’allées dans la capitale, ce cimetière est un des rares endroits tranquilles de la ville, et donc lieu de promenade.
8) Dans la nouvelle Delphine de Claude Seignolle, l’héroïne est tuée sur le Pont Notre-Dame par une balle tirée des années auparavant lors de la révolution de 1830.
9) A peu près cent mètres après le début de la rue Nicolas Flamel, le héros de la nouvelle Le Chupador (encore Claude Seignolle) rencontre un soir, passé minuit… le Chupador, sorte de vampire qui a trouvé une façon simple et poétique de saigner une victime à distance.
10) Au milieu du Pont-Neuf, un accès caché permet aux adeptes de la secte de Pazuzu de se réunir dans le sous-sol parisien (Le Démon de la Tour Eiffel, Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Tardi). Non loin, à l’intérieur de la Samaritaine, Brindavoine assiste à une invasion de salamandres géantes (Le Secret de la salamandre, Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Tardi).
11) Le Château-Gaillard, situé au bord de l’eau, à l’extrémité méridionale du pont, était un petit bâtiment surmonté d’une tour ronde, qui avait servi de prison dans son temps, mais qui maintenant commençait à se ruiner et à se crevasser, et n’était guère habitable que pour ceux qui n’avaient point d’autre asile. Eustache, après avoir marché quelque temps d’un pas mal assuré parmi les pierres dont le sol était couvert, rencontra une petite porte au centre de laquelle une chauve-souris était clouée. Il y frappa doucement, et le singe de maître Gonin lui ouvrit aussitôt en levant un loquet, service auquel il était dressé, comme le sont quelquefois les chats domestiques.
Dans La main enchantée, Gérard de Nerval situe ainsi au sud du Pont-Neuf la demeure d’un magicien diabolique auquel fait appel Eustache Bouteroue, apprenti-drapier qui doit se battre en duel pour l’amour de sa belle.
Le récit a également pour décors la place Dauphine et le Pré-aux-clercs.
12) Même Emile Zola écrit des histoires de morts-vivants ! Il en est au moins une, La mort d’Olivier Bécaille, qui se situe entre autres rue Dauphine et démontre qu’il ne fait pas bon mourir et ressusciter, sous peine de retrouver sa femme avec un autre.
13) Au 21 rue de l’Ancienne Comédie, le docteur Guillotin (inventeur de devinez quoi ?) avait sa maison. Tout près, au 9 passage du Commerce-Saint-André, il teste sa machine sur des moutons en 1790, avant qu’elle ne soit choisie par les révolutionnaires pour remplacer la potence.
14) Le club des Cordeliers de Camille Desmoulins s’est établi dans l’ancien couvent des Cordeliers, dont l’entrée principale se trouvait rue de l’Observance (au niveau du 4 rue Antoine-Dubois) et dont le réfectoire demeure au 15 rue de l’Ecole de médecine - appelée rue des Cordeliers entre 1300 et 1790. Ledru, narrateur du récit des Morts qui parlent (Alexandre Dumas), vient dans ce club trouver Danton pour sauver Solange, future guillotinée, avant de reconduire celle-ci 24 rue Férou (la rue s’arrête aujourd’hui au n°10). Nous sommes en 1793.
15) En remontant la rue de Tournon puis le jardin du Luxembourg à une heure du matin, le héros Une heure, ou la vision (Charles Nodier) voit apparaître le fantôme de sa bien-aimée. Il ne tardera pas à la rejoindre.
16) Bertrand Caillet, Le loup-garou de Paris, est emprisonné à la prison militaire du Cherche-Midi, construite en 1853 sur l’emplacement de la communauté du Bon-Pasteur, entre la rue du Cherche-Midi (et plus précisément le n°38) et la place Saint-Sulpice.
17) La Prison de l’Abbaye est à son origine, au XVIIe siècle, la geôle de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés - abbaye qui s’étend jusqu’à la Révolution entre les rues Jacob, de l’Echaudé, Saint-Benoît et le boulevard Saint-Germain. La prison se trouvait jusqu’en 1857 en face des n° 135-137 du boulevard Saint-Germain. C’est là que Ledru, toujours dans Des Morts qui parlent (Alexandre Dumas) interroge un valet du bourreau de Charlotte Corday, condamné pour avoir giflé sa tête décapitée.
18) Poursuivant leur enquête sur des momies disparues, Adèle Blanc-Sec et l’inspecteur Caponi échappent de peu à la mort devant le 49/51 rue des Saints-Pères (Momies en folie, Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Tardi).
19) Rue Saint-Guillaume, en face du n°14 où se trouve encore l’hôtel de Mortemart, Ledru rencontre le père de Solange pour mettre au point son évasion hors de France.
20) Washington Irving réside à l’hôtel Jacob et d’Angleterre, 44 rue Jacob, vers 1805. Il est entre autres l’auteur de Sleepy Hollow et de L’Aventure de l’étudiant allemand (1824), reprise sans complexe par Pétrus Borel dans Gottfried Wolfgang (1843), à son tour copié, mais avec plus d’invention, par Dumas dans La Femme au collier de velours.
21) Couty de la Pommeraie, médecin de son état, demeurait 5 rue des Saints-Pères lorsqu’il décida de ne plus respecter le serment d’Esculape et d’empoisonner maîtresse et belle-mère à la digitaline, inspirant Villiers de l’Isle-Adam pour Le Secret de l’échafaud (1883).
22) Dans Momies en folie, Edmond Choupard découvre le 4 mars 1912 vers trois heures du matin, suspendue à l’Arc de Triomphe du Carrousel, la première victime de la secte de Pazuzu.
23) Belphégor et ses complices accèdent par une dalle, derrière l’autel de l’église Saint-Germain-L’Auxerrois, à un passage souterrain qui rejoint la salle de la Victoire de Samothrace au Louvre. N’y cherchez pas la statue de Belphégor et la salle des dieux barbares. Ils n’existent que dans l’imagination de l’auteur et de ses lecteurs !
C’est également au Louvre que Louis trouve un peu de paix après avoir incendié le Théâtre des vampires pour venger la mort de Claudia (Entretien avec un vampire).
24) La rue Morgue n’a jamais existé à Paris. Edgar Poe, qui n’a guère visité la capitale, a choisi de la situer près de la rue Saint-Roch. Il semble qu’un monstre y ait commis un double assassinat, jusqu’à ce que l’on comprenne que le monstre est…
25) Place de la Révolution (place de la Concorde actuelle) est un lieu où l’on décapite ferme en 1793-1795, au plus fort de la Terreur. C’est un décor des Morts qui parlent et de La femme au collier de velours (Alexandre Dumas), deux récits où les morts… ne meurent pas tout de suite.
Suite et fin : Vampires, monstres et morts-vivants dans la capitale (3).
Bonjour
Votre article est très sympa, très agréable à lire et me donne grande envie de ré-explorer Paris ! (à noter la future sortie d’un Spirou : Paris Sous Seine, mais je n’en connais que le titre, je ne saurais donc en citer aucun lieu…)
Je voudrais vous signaler une toute petite erreur de référence : l’arrivée de Lestat et Louis à Paris n’est pas décrite dans Entretien avec un Vampire, mais dans sa suite, Lestat le vampire, de la même Anne Rice.
Lucie