Une des joies de ma solitude, c’est, Monsieur, de voir se lever en France, dans ce grand dix-neuvième siècle, une jeune aube de vraie poésie. Toutes les promesses de progrès sont tenues et l’art est plus rayonnant que jamais. Je vous remercie de me faire lire votre livre [les Poèmes Saturniens].
Victor Hugo à Paul Verlaine, depuis Guernesey, le 22 avril 1867.
Je ne vous crois pas méchant et cependant tous vos actes donnent raison à ceux qui disent que vous l’êtes. Supprimez deux choses dans votre existence : la Politique et la Jalousie et vous serez un homme parfait. Je me crois assez votre ami pour vous écrire cette lettre alors qu’il me serait si facile de ne rien vous écrire du tout.
Alphonse Lemerre, son éditeur, à Verlaine, juillet 1871.
En attendant, je dévore la Révolution de Quinet, la Fédération de Proudhon et les Mémoires d’outre-tombe par le nommé Chateaubriand. Il y a là-dedans un volume sur Napoléon dont je ne vous dis que çà !
Paul Verlaine. Lettre à Emile Blémont, 29 juillet 1871.
Mon cher petit Georges, tu vas avoir cinq ans, tu es un grand garçon maintenant. Il faut être bien sage, bien travailler à l’école, être toujours obéissant, car, quand on te dit de faire ou de ne pas faire quelque chose, c’est pour ton bien.
Aime bien bon papa, bonne maman, ta petite maman, et aussi ton petit papa qui t’embrasse bien, bien fort.
Verlaine à son fils, depuis Bournemouth, le 28 août 1876.
Les poètes symbolistes ont au moins deux maîtres : Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine.
La vie de ce dernier démarre mal. Il est écartelé entre sa conscience d’être laid et son idéal de beauté. Deux deuils assombrissent tôt son horizon : sa chère cousine Elisa décède en 1867, ainsi que, en 1871, son ami Lucien Viotti, avec qui il souhaitait écrire une pièce de théâtre.
Un autre facteur contribue à détériorer son système nerveux. Paul suit assez tôt la pente de l’alcool, avec les grandes tendances suivantes : il est fonctionnaire à l’Hôtel de Ville à Paris de 1864 à 1871 ; il vit entre France, Belgique et Angleterre avec Rimbaud jusqu’à l’été 1873 ; il est emprisonné à Mons, en Belgique, jusqu’à début 1875, et retrouve la foi ; pour échapper à sa belle-famille et à ses connaissances parisiennes, il enseigne ensuite en Angleterre et dans les Ardennes, en cours particuliers et en école, tout en espérant réintégrer un emploi de fonctionnaire parisien ; il réintègre la capitale en 1882, collabore sporadiquement à des revues ; sa santé continue à se détériorer ; son divorce est prononcé en 1885 ; sa mère morte en 1886, Verlaine redescend la pente à grande vitesse, de chambre d’hôtel en hôpital, jusqu’à son décès en 1896. Humilié sur tous les fronts hors le poétique, il est tué par la déchéance.
Paul naît en 1844 au 2 rue Haute-Pierre à Metz, d’un père capitaine dans l’armée comme celui de Rimbaud et d’Elisa-Stéphanie Dehée, native de Fampoux, dans le Pas-de-Calais.
Au fil des garnisons, les Verlaine s’installent à Montpellier en 1845 puis à nouveau à Metz en 1848.
Le Paris de l’enfance et de l’adolescence de Verlaine se concentre sur la rive droite, plus précisément sur le quartier des Batignolles.
Ses parents arrivent dans la capitale en 1850, lorsque M. Verlaine obtient sa retraite de l’armée. Ils emménagent 10 rue des Petites-Ecuries, puis dans le quartier des Batignolles situé alors en-dehors de la capitale et apprécié des militaires en retraite. Ses parents veulent offrir les meilleures études à Paul.
Il va au catéchisme rue de Douai. Entre 1853 et 1862, il est interne à la pension Landry, 32 rue Chaptal et se rend bientôt quotidiennement au lycée Bonaparte (aujourd’hui Condorcet), rue Caumartin. Les parents Verlaine emménagent 28 rue Truffaut en 1857, puis 10 rue Nollet (appelée rue Saint-Louis jusqu’en 1864) en 1859 ou 1860. Après une bonne scolarité, Paul découvre à 16 ans Baudelaire et l’absinthe.
1863 : nouvel emménagement, 45 rue Lemercier. Paul effectue un stage de comptabilité chez un nommé Savouret, rue du Faubourg-Saint-Honoré, et trouve un emploi dans une compagnie d’assurances. Il réussit en mai 1864 un concours administratif et commence à travailler à la mairie du IXe arrondissement, rue Drouot, puis à l’Hôtel de Ville. Il fréquente le salon de la marquise de Ricard, 10 boulevard des Batignolles (et celui de Nina de Callias, 17 rue Chaptal, à partir de 1868).
Les Verlaine s’installent 14 rue Lécluse en 1865, à deux pas de la rue Nollet. La revue L’Art publie en novembre un grand article de Paul sur Baudelaire. Le capitaine Verlaine décède en décembre. Paul et sa mère vivent de 1866 à 1870 au 3e étage du 26 rue Lécluse. Des vers du poète sont publiés en 1866 dans le premier volume du Parnasse contemporain, et son premier recueil est édité à compte d’auteur : Poèmes saturniens, tout imprégnés de Baudelaire.
De la rue Lécluse, il rend visite à Mathilde Mauté chez ses futurs beaux-parents, 14 rue Nicolet. Mathilde lui inspire La Bonne chanson.
Il l’épouse le 11 août 1870 et le couple s’installe ce même mois au 2 rue du Cardinal-Lemoine - leur résidence principale jusqu’à août 1871. Mais Mathilde ne sera jamais l’épouse très aimante dont rêve Paul. Verlaine est garde national pendant le siège de Paris à l’automne 1870. Il choisit de ne pas quitter son emploi à l’Hôtel de Ville. La Commune débute mi-mars 1871. Mathilde et Paul quittent Paris fin juin pour Fampoux puis pour Lécluse, chez Auguste Dujardin, et sans doute Arras, 21 rue de la Paix. En rentrant dans la capitale en août, ils logent quelque temps au 14 rue Nicolet par souci d’économie, Paul ayant perdu en juillet son emploi à l’Hôtel de ville parce qu’il l’avait conservé pendant la Commune..
Le 10 septembre 1871, Rimbaud débarque rue Nicolet. Il a lu les Fêtes galantes pendant l’été 1870 et a écrit un an plus tard à leur auteur. Il possède un génie brut et brutal qui fascine ou répulse ceux qui croisent sa route. Les deux poètes mènent bientôt vie commune en Belgique et en Angleterre - ce qui inspire à Verlaine les Romances sans paroles -, jusqu’au coup de feu qui blesse Rimbaud le 10 juillet 1873 à Bruxelles [1]. Verlaine est condamné à plusieurs mois de prison, qu’il purge à Bruxelles et à Mons. Il revient vers la religion catholique et s’éloigne de la République.
Mathilde, qui a donné naissance à Georges Verlaine en octobre 1871, obtient un jugement en séparation en 1874. Après sa libération début 1875, Paul enseigne en Angleterre et dans les Ardennes, passant parfois chez sa mère à Arras, 2 impasse d’Elbronne.
Dans les années 1870, il demande aux correspondants auxquels il ne veut pas révéler son adresse de lui envoyer leur courrier au 12 rue de Lyon. C’est là que demeure un ami, Jean-Baptiste Istace, qui héberge plus d’une fois le poète et sa mère.
À la rentrée 1877, le voilà professeur de français, anglais, histoire et géographie au collège Notre-Dame de Rethel, dans les Ardennes. Il y succède à son ami Delahaye. En 1880, il achète la ferme de la Petite Paroisse non loin, rue de l’Abi à Juniville, qu’il revend deux ans plus tard.
Le recueil Sagesse - au titre significatif - passe assez inaperçu en 1881. Après dix ans de résidence en-dehors de la capitale, Verlaine revient vivre à Paris en 1882, d’abord à l’Hôtel du Commerce, 5 rue du Parchamps à Boulogne-sur-Seine, puis, avec sa mère, 17 rue de la Roquette à partir de novembre 1882. Il l’a convaincue de quitter Arras pour habiter à nouveau avec lui.
Ils vivent à partir de mi-1883 dans la petite maison de Malval, à Coulommes près d’Attigny, dans les Ardennes. Paul poursuit ses débauches.
Il publie en 1884 un essai sur trois « poètes maudits » : Mallarmé, Tristan Corbière et Rimbaud.
Il passe le mois d’avril 1885 dans la prison de Vouziers, condamné pour violences contre sa mère.
Après un séjour en février 1885 à l’Austin Hôtel, rue d’Amsterdam, et divers voyages en Ardennes, il s’établit au sordide hôtel du Midi (6 cour Saint-François, par le 5 rue Moreau), lui au rez-de-chaussée, sa mère au 1er étage. C’est son adresse jusqu’au printemps 1887. Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam et d’autres viennent l’y rencontrer.
Après le décès de sa mère cour Saint-François en 1886 [2], Verlaine renoue à plein avec la vie de bohème à travers le Quartier latin. Ses adresses sont le 5 rue des Ecoles, chez Rachilde [3], en novembre 1886 ; le minable hôtel de la Harpe, 6 rue de la Harpe (automne 1887) ; l’hôtel Royer-Collard, 14 rue Royer-Collard (printemps 1888) - où jusqu’à quarante personnes envahissent sa petite chambre lors de ses rencontres littéraires du mercredi ; le triste Grand Hôtel des Nations, 216 rue Saint-Jacques (automne 1888) ; l’hôtel de Lisbonne, 4 rue de Vaugirard (début 1889) ; l’hôtel des Mines, 125 boulevard Saint-Michel (début 1890) ; l’hôtel Biot, 15 rue Biot, et l’hôtel de Montpellier, 18 rue Descartes (automne 1890), avec bientôt des échappées au 272 rue Saint-Jacques, chez Eugénie Krantz [4] ; le 15 rue Descartes début 1892 ; chez Eugénie au 9 rue des Fossés-Saint-Jacques (début 1893) ; le 187 rue Saint-Jacques ; le 21 rue Monsieur-le-Prince ; chez Eugénie au 16 rue Saint-Victor (début 1895) ; le 39 rue Descartes, où il meurt en 1896 (plaque).
Les hôpitaux de Paris l’accueillent très régulièrement pour soigner une arthrite du genou qui gagne peu à peu tout son côté gauche. Il aura vécu au total plus de 1300 jours à l’hôpital.
En janvier 1890, un André Gide de 21 ans le visite à l’hôpital Broussais, 96 rue Didot, en quête de conseils pour ses projets littéraires… Il s’y trouve à nouveau en 1892, salle Lassègue. Exceptionnellement, il est autorisé à recevoir ses amis tous les jours… et, parfois, à sortir avec eux… Barrès, France, Huysmans, Rachilde, etc. le visitent également.
En 1894, Maurice Barrès et Robert de Montesquiou dirigent une souscription destinée à lui verser une mensualité. Il est couronné « Prince des Poètes » et décède en 1896.
À signaler encore : deux derniers lieux liés indirectement à la vie de Verlaine : le château de Bouëlle, près de Neuchâtel-en-Bray, où Mathilde et ses parents effectuent des séjours à partir de 1862 ; le Grand Hôtel du Château de Pierrefonds, où Georges Verlaine se repose d’une maladie, en compagnie de sa mère, pendant l’été 1878.
Autres demeures de l’auteur
Verlaine repose au cimetière des Batignolles, à Paris.
Quelqu’un à contacter ?
Les Amis de Paul Verlaine siègent à l’Hôtel de la Société des Gens de Lettre, Hôtel de Massa, 38 rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris.
Petite bibliographie
Verlaine. Henri Troyat. Livre de Poche n°13962.
Correspondance générale I, 1857-1885. Paul Verlaine. Etablie et annotée par Michael Pakenham. Fayard, 2005.
Verlaine. Magazine littéraire n°321, mai 1994.
[1] Verlaine loge depuis le 4 juillet à l’Hôtel liégeois, 1 rue du Progrès. Il supplie sa femme de le rejoindre. Rimbaud s’y présente le 8 juillet. Pour éviter une éventuelle rencontre entre Mathilde et Arthur, les deux hommes s’installent aussitôt à l’hôtel de Courtrai, 1 rue des Brasseurs, à l’angle de la Grand-place, en compagnie de Mme Verlaine. Ils passent la journée du 9 à se disputer. Le 10 au matin, Paul achète un pistolet chez l’armurier Montigny, passage des Galeries-Saint-Hubert. Il le charge de balles dans un café de la rue des Chartreux. Dans l’après-midi, Verlaine, ivre, blesse Rimbaud au poignet en voulant le dissuader de repartir à Paris.
[2] Elle attrape une pneumonie en allant chercher du tabac pour son fils adoré.
[3] Future femme de l’éditeur Alfred Vallette.
[4] Rimbaud meurt en novembre 1891.
Toutes les questions que vous vous posez sur Verlaine est en particulier sur Verlaine à Paris au François 1er se trouvent sur le site officiel de Paul Verlaine : www.paul-verlaine.net.
Ce site est réalisé par Christophe GILBERTON, des Amis de Verlaine (www.amis-verlaine.net ).