Pascal PIA à Bab el-Oued, Paris, Lyon

Le mercredi 19 décembre 2007.

Certains auteurs sont davantage connus pour leurs amis que pour eux-mêmes. C’est le cas de Pascal Pia, dont les amis se nomment André Malraux et Albert Camus. Il est difficile de surpasser en renommée de tels camarades, bien sûr, mais il faut dire aussi que Pia, nihiliste convaincu, refusant toute autorité, ne croyant qu’en la vanité de l’existence et en l’absurde de l’écriture, ne souhaitait pas que l’on parle de lui.

Pierre Durand, futur Pascal Pia, naît en 1903 au 22 de la rue Philippe de Girard à Paris. Son père meurt au front en 1915 mais la famille ne l’apprend officiellement qu’en 1916. Comme Camus, il est orphelin de guerre. Il quitte sa mère à 14 ans, ne supportant plus le carcan familial. Il écrit des poèmes et fréquente bientôt les milieux anarchistes - et en particulier Marcel Sauvage, qui l’introduit dans la faune littéraire parisienne. Son grand amour est en effet la poésie, qu’il vénère trop pour oser vraiment y toucher. Où plutôt, il pastiche : Baudelaire et Rimbaud en particulier, mais aussi Apollinaire et Radiguet [1]. C’est pour lui une manière d’empêcher qu’ils ne soient figés par l’histoire.

Il se lie en 1920 avec André Malraux et s’intéresse aussi aux textes érotiques ; l’Enfer de la Bibliothèque nationale n’a plus de secrets pour lui. Il contribue à l’édition clandestine (car alors interdite) de certains textes (avant de replonger, pendant la guerre, dans d’autres sortes de publications clandestines).

Après avoir travaillé pour la Lumière puis pour Voilà, puis deux ans pour le Progrès de Lyon [2], Pia collabore à Ce soir, quotidien d’Aragon - directeur politique -, de Jean-Richard Bloch - directeur littéraire - et d’Elie Richard - rédacteur en chef - transfuge de Paris-Soir. Ce soir prend rapidement nombre de lecteurs à Paris-Soir, d’autant plus que les membres du parti communiste reçoivent l’ordre de ne plus lire le second et de lui préférer le premier.

Pia quitte Ce soir en 1938 pour devenir rédacteur en chef d’Alger républicain, où écrit Emmanuel Roblès et où Pia embauche un autre jeune homme, Albert Camus. Le journal a ses bureaux à Bab el-Oued, rue Koechlin.

Alger républicain s’éteint en septembre 1939. Son maigre successeur, Le Soir républicain, ne vit que jusqu’en janvier 1940. La censure du régime colonial en état de guerre a eu raison des deux journaux. Pia et Camus viennent de vivre deux ans d’une expérience journalistique intense et sont à présents fichés par la police. Pia regagne Paris et devient - pour motifs alimentaires plus que militants, car, malgré les apparences, il n’aime pas excessivement la presse - secrétaire de rédaction au Paris-Soir de Pierre Lazareff, Hervé Mille et Jean-Prouvost [3]. Il y fait engager Camus, qui s’installe à Paris en mars 1940 et rejoint les bureaux du 37 rue du Louvre.

Pia est mobilisé à Maisons-Laffitte en 1940 et parvient à gagner clandestinement la zone non-occupée après l’armistice. Il retrouve Camus et Paris-Soir qui s’est transporté à Lyon en septembre [4] et y travaille jusqu’à sa fin en novembre 1942 (Camus, lui, est retourné en Algérie après avoir été licencié économique par le journal début 1941). L’adresse qui figure sur sa carte de journaliste en 1941 est le 79 Cours Gambetta à Lyon, puis l’Eden Hotel, Cours des Archives, toujours à Lyon, en 1942. Les bureaux du journal se trouvent 65 Cours des Libertés. Pia entre dans le mouvement clandestin Combat et prend la tête de la rédaction de son journal homonyme.

Il est resté en contact épistolaire avec Camus, dont il a reçu des manuscrits au printemps 1941, qu’il a transmis à Malraux, Paulhan et Martin du Gard. Pia rencontre de temps en temps Camus, qui séjourne au Chambon-sur-Lignon entre l’été 1942 et l’automne 1943 pour soigner sa tuberculose.

L’Etranger paraît en mai 1942 chez Gallimard et Le Mythe de Sisyphe six mois plus tard, la censure franco-allemande n’y voyant que du feu. Pia fait entrer Camus dans le mouvement Combat en 1943, et comme lecteur aux éditions Gallimard.
Après avoir travaillé le jour chez Gallimard, Camus assure la nuit la rédaction en chef de Combat, que Pia lui a transmise pour se consacrer à d’autres tâches clandestines.

En avril 1943, Pia appartient à la direction des MUR (Mouvements unis de la Résistance) et doit quitter la France pour ne pas être pris.

Fin 1944, Combat sort de la clandestinité et s’installe au 100 rue Réaumur. Henri Callet y collabore. Comme de nombreux mouvements et journaux de la Résistance, Combat s’était construit autour d’un projet politique pour l’après-Libération… qui ne sera jamais vraiment mis en œuvre par les chefs du pays libéré. Miné par des conflits internes, la concurrence avec d’autres quotidiens et la grève des ouvriers du livre en 1946-1947, Combat change de mains en 1947, sans Pia. C’est aussi la fin de l’amitié avec Camus.

Comme l’ancien communiste Malraux, le nihiliste Pia se rapproche ensuite de De Gaulle et travaille au journal du parti gaulliste, Le Rassemblement, pour, une fois déçu par cette expérience, retourner à la critique et à ses chers poètes, tout en écrivant des chroniques littéraires pour l’hebdomadaire Carrefour d’Emilien Amaury - fondateur également du Parisien libéré et de Marie-France.
Il décède en 1979.

Sources :
- Archives des années noires. Artistes, écrivains et éditeurs, éditions IMEC, 2004,
- La Rive gauche, Herbert R. Lottmann, Points Seuil n°161,
- Le Siècle des intellectuels, Michel Winock,
- Albert Camus, une vie, Olivier Todd,
- André Malraux, une vie, Olivier Todd,
- Albert Camus, Herbert R. Lottman,
- Albert Camus, soleil et ombre, Roger Grenier, Folio n°2286,
- Pierre Lazareff, Yves Courrière, ed. Gallimard,
- www.andremalraux.com.

[1] Son habileté ira jusqu’à faire éditer dans un volume de la Pléiade consacré à Baudelaire en 1931 certains textes qui sont en réalité des pastiches écrits par Pia !

[2] Où Pia introduit Francis Ponge en 1942.

[3] Décidément, il y a beaucoup de soirs dans cette histoire !

[4] Après Clermont-Ferrand, où Camus l’a suivi dans les locaux du Moniteur de Pierre Laval, 57 rue Blatin.



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