Alain-Fournier et ses compagnons d’arme, une archéologie de la Grande guerre, c’est un peu Un long dimanche de fiançaille et un peu d’un roman de Patricia Cornwell, avec ce qu’il faut d’analyses « post-mortem » en texte et en images.
C’est l’histoire humble et passionnante de la découverte en 1991 du corps de l’écrivain et de ses vingt compagnons d’arme, tués sur le front le 22 septembre 1914.
La Première guerre tue 403 hommes de lettre, dont un bon nombre furent affectés comme officiers car ils avaient un niveau d’études relativement élevé. Le cas d’Alain-Fournier est impressionnant, même s’il n’est pas unique. Jusqu’à la découverte de son corps par une équipe de chercheurs obstinés qui démarrèrent leurs recherches en 1977, nul ne connaissait l’histoire de ses derniers instants. Les témoignages d’autres soldats français et les archives officielles étaient souvent confus, parfois même contradictoires ou erronés.
Le lieutenant Henri-Alban Fournier était-il blessé, est-il mort sur le coup, mort après coup, a t-il été prisonnier… ?
Enterré avec ses hommes, quelques heures après leur mort, dans une sépulture commune qui s’est trouvée immédiatement derrière les lignes allemandes jusqu’en septembre 1918 [1], sa mort n’est signifiée officiellement à la famille qu’en février 1916. Un monument est érigé à sa mémoire en 1964 au carrefour de la tranchée de Calonne et de la route Vaux.
Ce n’est qu’en 1989 que l’équipe de chercheurs découvre un témoignage irréfutable, celui d’un officier allemand expliquant qu’il a recueilli le dernier souffle d’un officier français qui lui demandait d’écrire à une Mme Périer à Paris, lui expliquant qu’il était un parent de l’ancien président de la République, Casimir Périer (Alain-Fournier était secrétaire de Claude Casimir Périer et amant de sa femme, Mme Simone).
Des prospections magnétiques entreprises dans les sous-bois de Saint-Rémy-de-Calonne (21 km au sud-est de Verdun) au printemps 1991 permettent, grâce à différentes découvertes, de reconstituer un peu le scenario des combats de septembre 1914. On aperçoit aussi un bout de godillot qui dépasse du sol.
La sépulture commune est localisée en mai 1991. Son lieu précis est tenu secret jusqu’à ce que son étude commence en novembre. Dix-neuf corps sont identifiés.
Tous sont à nouveau inhumés le 10 novembre 1992 dans la nécropole nationale de Saint-Rémy. Au-dessus de la sépulture a depuis été érigée une pyramide de verre et de métal laissant entrevoir la position des corps.
L’ouvrage – passionnant de bout en bout – laisse également entrevoir les remous causés par cette opération de fouille dans la communauté archéologique française en posant la question d’intégrer les vestiges d’un passé aussi récent dans le patrimoine archéologique.
Il présente aussi les réactions à l’événement des historiens (peu intéressés de prime abord), des anthropologues et des experts médico-légaux.
100 à 600 000 soldats de la Première guerre mondiale sont aujourd’hui encore des « disparus », comme l’était Alain-Fournier et ses vingt compagnons jusqu’en 1991.
Alain-Fournier et ses compagnons d’arme, une archéologie de la Grande guerre, de Frédéric Adam, est publié aux éditions Serpenoise, 3 avenue des 2 Fontaines, BP 70090 57004 Metz Cédex 1, serpenoise@republicain-lorrain.fr, www.editions-serpenoise.fr (tél. 03 87 34 19 79).
Frédéric Adam est archéologue en Lorraine et a eu en 1991 la responsabilité de la fouille de la sépulture contenant les corps des 21 soldats.
[1] Située à l’écart de la zone des combats, la sépulture a bénéficié d’une bonne conservation.