Par Bernard Vassor
Cette maison fut ouverte vers le début des années 1850 par un certain Schoen, qui fit rapidement faillite. Un sieur Bourgeois qui a succédé, lui donnera une certaine notoriété en modifiant la décoration de l’établissement (criardes aux yeux de certains) et qui devint bientôt le lieu de rendez-vous de tous les artistes, les peintres les plus divers, comme Alfred Stévens, Yan d’Argent, les ingristes et les coloristes s’opposaient avec violence à celui qui allait vite devenir le maître des lieux, l’élève de l’école de Bougival, Gustave Courbet.
Manet venait souvent avec son cousin le commandant Lejosne, militaire républicain voisin de l’avenue Trudaine, en disponibilité depuis le coup d’état du 2 décembre et de son ami Baudelaire.
Des écrivains, Champfleury, Philibert Audebrand, Louis Desnoyers le président de la Société des Gens de Lettres, des musiciens, des hommes politiques, et Jules Andrieux le futur responsable de la commission administrative de la Commune de Paris, firent de cet endroit le plus tumultueux établissement du quartier.
Pierre Dupont, le chansonnier poète auteur de l’immortelle chanson « Les Bœufs » y venait avec le chef d’orchestre de l’Elysée Montmartre Olivier Métra. Le docteur Gachet y côtoyait Renoir Boudin, Monet et bien sur Henri Mürger Aurélien Scholl, Vallès et Monselet.
Le journaliste de l’Évènement Philibert Audebrand en donne la description suivante :
« Une maison ni belle ni laide,, sans enseigne, mais qui passait pour servir la meilleur bière du monde. Une grande porte vitrée ouverte à deux battants, un boyau de deux cents mètres ».
Audebrand exagère un peut, la brasserie donnait de la rue des Martyrs à la rue Notre-Dame-de-Lorette, ce qui doit représenter tout au plus une trentaine de mètres (vous pouvez vérifier sur place en visitant le magasin qui occupe cet emplacement).
On peut lire dans le dictionnaire des Lieux à Montmartre (éditions André Roussard, Paris, 2001) :
« La brasserie tenta de se muer en café-concert entre 1890 et 1900 sans beaucoup de succès, en 1896 elle prit le nom de « Bengali » puis celui de « La Savoyarde ».(…) C’est sur cette scène qu’avait débuté la très jeune Mistinguett.
(…) En 1897 l’enseigne changea et prit le nom de Brasserie Concert des Martyrs. (…) Une mercerie dite « Galerie des Martyrs » remplaça la brasserie après 1900. »
La rue des Martyrs, ou le chemin des Martyrs existait depuis le XII° siècle. Elle commençait près de la rue du jour et était confondue avec la rue Montmartre et du faubourg Montmartre. Autour de la chapelle des Porcherons, des guinguettes s’étaient établies.
La chapelle fut remplacée par une église Notre-Dame-de-Lorette qui était située environ à l’angle de la rue Milton et de la rue Lamartine. La nouvelle église fut construite sur l’emplacement du lieu nommé « La Croix des Porcherons ».
Au XIX°, les cabarets, les auberges, les tables d’hôte et les « petites maisons » s’échelonnaient sur toute la montée de la rue : le « Bœuf Rouge » avec son jardin au numéro 12, « le Lion-d’Argent » un petit peu plus haut au n° 16.
L’architecte Hittorff avait sa maison à l’emplacement de la rue Hyppolyte Lebas, à l’angle de la rue des Martyrs.
Les crèmeries aussi étaient des échoppes ou l’on faisait volontiers crédit aux danseuses et aux nombreuses « artistes » du quartier.
Nous avons les adresses des « petites maisons » qui jalonnaient la rue à l’époque.
Une de ces demeures avait été habitée par le poète Béranger et son ami député, le célèbre Manuel.
C’était aussi là que les ducs et les marquis avaient leur pied-à-terre et donnaient leurs rendez-vous galants.
Anne-Simone Dufief me signale une lacune dans cet article : L’apport important d’Alphonse Daudet à l’histoire de la Brasserie des Martyrs. Je vais donc me remettre au travail.
DUFIEF (Anne-Simone), Alphonse Daudet romancier, Paris, Honoré Champion, coll. "Romantisme et Modernités", 1997, 743 p.
lire l’article de Colette Beker dans les "Cahiers naturalistes
http://www.cahiers-naturalistes.com/alphonse_daudet.htm