En octobre 1932, les éditions Gallimard lancent Marianne, un hebdomadaire au titre sans équivoque, situé politiquement à gauche. L’objectif est de créer un journal dans lequel puissent s’exprimer des auteurs Gallimard comme Gide, Malraux, etc., et de représenter un contrepoids d’opinion face aux nombreux périodiques de droite et d’extrême droite florissant dans ces terribles années 1930. La direction de Marianne est confiée à Emmanuel Berl. Son tirage plafonnant à 120 000 exemplaires, Gallimard revendra le journal en 1937.
Entre temps, un concurrent a vu le jour à l’automne 1935 : Vendredi, que l’on pourrait qualifier d’« hebdomadaire du Front populaire », à la fois parce qu’il rassemble divers courants politiques de gauche, et parce qu’il voit en effet – en y contribuant un peu – la victoire électorale du Front populaire, en 1936.
Cette éphémère mais belle aventure éditoriale est principalement due à un écrivain discret, André Chamson, qui s’entoure de deux autres figures littéraires engagées de l’époque : Jean Guéhenno et Andrée Viollis.
Les amis de Chamson se nomment Jean Prévost, Jean Grenier, Louis Guilloux, Roger Vitrac, Jacques Kayser, etc. Nombre d’entre eux écriront pour Vendredi. Chamson et sa femme Lucie Mazauric sont proches du parti radical-socialiste. « Pour avoir observé la vie politique de près, note Michel Winock, expérimenté la difficulté pour les élus de concilier l’idéal et la pratique, il refuse d’admettre l’antiparlementarisme de ses amis. » En 1925, Chamson a été sous-chef du cabinet du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, un certain Édouard Daladier qui participera au financement de Vendredi.
Un événement précipite sa décision de lancer un nouveau journal : l’émeute du 6 février 1934. Pour lui comme pour d’autres, il devient clair que la mission des « intellectuels » est de « mobiliser toutes les forces de l’esprit dans la résistance au fascisme » (Michel Winock). C’est la période des mouvements, des meetings, des initiatives multiples. Chamson, bon orateur, est du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) et du congrès des écrivains pour la défense de la culture en juin 1935 – qui sera un bon vivier d’auteurs occasionnels ou réguliers pour Vendredi.
Chamson veut un journal à la ligne plus claire que Marianne [1], plus engagé avec les partis de gauche et les syndicats, moins lié à une entreprise commerciale qu’est une maison d’édition. Il existe aussi un autre hebdomadaire de gauche, Regards, mais son parrainage communiste explicite en détourne de nombreux lecteurs.
Chamson sollicite l’aide de Jean Guéhenno, rédacteur en chef de la revue Europe et proche des socialistes de la SFIO. Comme dans d’autres équipes, celle de la revue Europe se divise alors sur l’attitude à adopter face au danger de guerre. Guéhenno se situe dans un juste milieu, entre les pacifistes et les partisans de la fermeté. Il démissionne de la direction d’Europe en février 1936 pour la laisser à Aragon et Jean Cassou, ce qui le libère pour Vendredi.
Chamson et Guéhenno s’allient les services d’ Andrée Viollis, écrivain-grand reporter, proche des communistes, qui publie en 1935 Indochine SOS, dénonciation du colonialisme [2] . Le rédacteur en chef de Vendredi est Louis Martin-Chauffier, catholique de gauche.
Le premier numéro paraît le 8 novembre 1935, avec des articles signés Gide, Cassou, Julien Benda, Giono, Jacques Maritain, Paul Nizan. Le second numéro voit les noms d’Edith Thomas et Jean-Richard Bloch et les numéros suivants ceux d’Alain, Aragon, Jules Romains, Martin du Gard, Adrienne Monnier, Emmanuel Mounier, etc.
La guerre d’Espagne déclenche l’été 1936 des tensions dans l’équipe de Vendredi. Chamson et Viollis sont pour l’intervention de la France aux côtés des Républicains espagnols, Guéhenno n’est pas favorable. Ces mêmes tensions aboutissent à la chute du gouvernement Blum en 1937. Fin 1937, la querelle culmine dans les colonnes de Vendredi, avec Gide qui reproche au journal de sacrifier la vérité et sa liberté, et Guéhenno qui réplique que tout combat exige discipline et fidélité. difficultés financières 1937 dernier numéro 10 novembre 1938 pacifistes et « bellicistes » ne peuvent se réconcilier
Sources :
Le siècle des intellectuels, Michel Winock, Points n°613,
La rive gauche, Herbert R. Lottman, Points n°161,
Marianne et vendredi : deux générations ?, article de Bernard Laguerre dans la revue Vingtième Siècle, 1989, Volume 22, Numéro 1, accessible sur www.persee.fr.
[1] Emmanuel Berl est un pacifiste convaincu. Il entretient par ailleurs de très bonnes relations avec une personnalité comme Horace de Carbuccia, directeur du magazine d’extrême droite Gringoire et gendre du préfet de police Jean Chiappe.
[2] Dans ses souvenirs, André Wurmser la décrit ainsi : « Andrée Viollis était tout à la fois une vieille dame d’apparence farfelue, issue des romans d’Agatha Christie, des films d’Alec Guiness, et l’un des grands journalistes de son temps. […] Avec son chapeau plat à fleurs roses ou mauves, sa voilette, ses gants, son parapluie, elle semblait ne rien comprendre, confondait des noms, les sigles, les programmes, raisonnant tout de travers – la catastrophe ! pensiez-vous -, et le lendemain l’article qu’elle signait était juste, clair, précis, sans une bavure, d’une inexplicable intelligence » (cité par Herbert R. Lottman dans La Rive gauche).