Au milieu des manifestants de juin 1832 à Paris

De la rue Jean Goujon à la Bastille
Le lundi 26 septembre 2005.

Le 1er juin 1832, le général Lamarque décède du choléra qui sévit à Paris depuis février, touchant 40 000 personnes et en tuant la moitié. Ancien soldat de la Révolution et de l’Empire, il était devenu populaire par son opposition à Louis-Philippe. Le 28 mai, il avait signé un manifeste de protestation à l’adresse du roi, aux côtés de Jacques Laffitte, Odilon Barrot, La Fayette et quelques dizaines de dizaines de députés républicains modérés.

Le 5 juin, le cortège funèbre part de son domicile pour se rendre au pont d’Austerlitz, où des discours d’hommage doivent être prononcés avant que le corps du général n’embarque pour les Landes, où il doit être enterré.

1) Avant d’accompagner le dernier voyage du général, rendons-nous 9 rue Jean Goujon. En juin 1832, les Hugo demeurent ici dans un quartier éloigné de l’agitation de ces journées et tout neuf, puisque la rue n’existe que depuis sept ans. Ils en occupent son unique maison. Un peu plus haut, l’Arc de triomphe est en construction. Ils vivent ici depuis mai 1830 et l’effervescence de la bataille d’Hernani, que n’a pas supportée leur propriétaire du 11 rue Notre-Dame-des-Champs, qui les a priés de déguerpir… C’est ici qu’en 1830-31, Hugo écrit Notre-Dame de Paris.

2) Le 5 en fin de matinée, le cortège funèbre part de la demeure du général, rue du faubourg Saint-Honoré. Celle-ci est sans doute située non loin de l’intersection avec la rue Royale, car c’est à ce carrefour, au café Hiraux, que Dumas prend des forces en buvant du chocolat avant que ne s’ébranle le convoi de quelques dizaines de milliers de personnes conduit par le général La Fayette : badauds, députés, anciens soldats, élèves polytechniciens [1], héros imaginaires des Misérables (Enjolras, Courfeyrac et leurs amis du groupe républicain l’ABC qui, pour la plupart, seront morts le lendemain)… Laissons Dumas dresser le reste du décor : « une chaleur étouffante, de gros nuages noirs roulant au-dessus de Paris, comme si le ciel, en deuil, eût voulu prendre part à la fête funèbre par le roulement de son tonnerre. » Ils poursuivent par la rue Royale et le boulevard de la Madeleine.

3) Par un détour non prévu au programme, le cortège bifurque par la rue de la Paix jusqu’à la colonne de la place Vendôme, dont il fait le tour pour rendre hommage au soldat de Napoléon, avant de reprendre la rue de Paix.

4) 12 rue de Choiseul, une altercation est évitée de justesse avec des membres du Cercle des Arts (un cercle conservateur auquel appartiennent ou appartiendront Mérimée, Delacroix, Nodier, Stendhal…). Puis le convoi continue par les boulevards. Le lendemain, encore très faible, Dumas, alors attablé au Café de Paris ou à un café voisin, verra Louis-Philippe passer à cheval, accompagné de quelques ministres, et, à hauteur du Cercle des Arts, saluer la garde nationale.

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Le théâtre de la Porte Saint-Martin.

5) A la porte Saint-Martin, les esprits commencent à s’échauffer sérieusement. Quelques membres du cortège affrontent la police. Quelques heures plus tard, dans l’après-midi, Dumas se trouve à nouveau dans les parages. Malgré sa fatigue, il s’est remis à traverser la capitale en quête d’informations, comme en juillet 1830. Sur les boulevards, il est mis en joue par un soldat. Pour se réfugier, il s’engouffre dans le théâtre de la Porte Saint-Martin en fracassant la porte (cela tombe bien, on y joue sa pièce La Tour de Nesle !) [2].

6) Le convoi continue jusqu’à la place de la Bastille puis, par le boulevard Bourdon, jusqu’au début du pont d’Austerlitz.

7) Pendant que commencent les discours d’adieu au général, Dumas s’attable à un restaurant proche. Il est environ quinze heures. Il revient au pont après avoir entendu des coups de feu. En fait, au milieu des discours, alors que des rumeurs d’insurrection circulaient parmi la foule, un cavalier noir portant un drapeau rouge sur lequel est écrit « La liberté ou la mort » est apparu. Au même moment (est-ce un hasard ? Le cavalier noir était-il un agent provocateur ?), une colonne de dragons est sortie de la caserne des Célestins située boulevard Henri IV. Et alors que retentissaient des « Vive la République » poussés en particulier par Etienne Arago, des coups de feu venus d’on ne sait où éclataient boulevard Bourdon.

8) Les manifestants se transforment alors en insurgés, et la violence éclate lorsqu’un second détachement de dragons sort de la caserne et charge la foule. Une barricade se monte en haut du boulevard Bourdon. Dans un premier temps, les dragons, mis en échec, se replient par la rue de la Cerisaie et la rue du Petit-Musc.

Au soir du 5 juin, les insurgés sont maîtres de bien des lieux dans la capitale. L’armée et l’opposition républicaine ne savent pas encore à quel parti se rallier. L’armée semble attendre, pour faire son choix, de voir vers quel côté penche la Garde nationale [3]. Mais l’apparition du cavalier noir a pétrifié de peur cette dernière, qui craint un retour à la Terreur de 1793. Elle va basculer du côté du pouvoir. D’après Dumas, Laffitte et La Fayette se disent prêts à recommencer juillet 1830, mais ils attendent des soutiens et tergiversent. Dumas s’évanouit en rentrant chez lui. Il passe la nuit du 5 au 6 dans son lit, pendant que, rue Saint-Martin, les insurgés veillent sur ce qu’ils espèrent être un bastion inexpugnable.

À lire aussi :
- Le Paris des Misérables,
- Juin 1832, l’insurrection oubliée.

[1] Relisons les premières lignes de Lucien Leuwen, écrit en 1834-35 : « Lucien Leuwen avait été chassé de l’Ecole polytechnique pour s’être allé promener mal à propos, un jour qu’il était consigné, ainsi que tous ses camarades : c’était à l’époque d’une des célèbres journées de juin, avril ou février 1832 ou 1834. »

[2] Après s’être vêtu en « habit de bourgeois » et diverses péripéties, Dumas arrivera à sept heures du soir chez Jacques Laffitte, rue d’Artois - rue Laffitte, en évitant les boulevards et en passant par la rue du Faubourg Saint-Martin, le passage de l’Industrie, la rue d’Enghien et la rue Bergère. Il y retrouvera La Fayette et d’autres personnalités qui se demandent s’ils doivent constituer un nouveau gouvernement ou apporter leur soutien à Louis-Philippe. Devant la discussion qui s’éternise, brûlant de fièvre, Dumas regagnera son appartement du square d’Orléans, 40 rue Saint-Lazare.

[3] La Garde nationale est chargée du maintien de l’ordre et de la défense des droits constitutionnels. A partir de 1815, elle s’embourgeoise. Pendant la Révolution de 1830, elle se trouve encore du côté des libéraux. Mais en juin 1832 - de même qu’en 1834 ou lors de la révolution de juin 1848 - elle se retrouve face au peuple et aux ouvriers. Elle est dissoute en août 1871 par Thiers. Sue, Baudelaire, Balzac, Mérimée et d’autres, ayant refusé de faire leurs journées de service au sein de la garde nationale, se sont exposés à des peines d’emprisonnement. Ecoutons Hugo (Les Misérables, 5e partie, livre 1er) : « Ceux qui ont gardé quelque souvenir de cette époque déjà lointaine savent que la garde nationale de la banlieue était vaillante contre les insurrections. Elle fut particulièrement acharnée et intrépide aux journées de juin 1832. Tel bon cabaretier de Pantin, des Vertus ou de la Cunette, dont l’émeute faisait chômer « l’établissement » […] se faisait tuer pour sauver l’ordre représenté par la guinguette. […] l’on défendait avec un enthousiasme lacédémonien la boutique, cet immense diminutif de la patrie. ».



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