Traces saint-simoniennes dans la littérature du XIXe siècle

Le jeudi 6 décembre 2007.

Romantisme et saint-simonisme partageant peu à peu des espoirs proches de changement social, Sainte-Beuve et son entourage sont parmi les premiers écrivains touchés par la doctrine saint-simonienne. Prêtant sa plume au Globe, il suit Pierre Leroux après la révolution de juillet 1830 dans les réflexions de celui-ci sur le rôle social de la littérature. Pendant quelques semaines, il entraîne à sa suite son ami Victor Hugo, qui retourne vite à une position politique modérée – jusqu’aux années 1848-1849 et son inclination pour le socialisme.

Fin 1830-début 1831, aussi étonnant que cela puisse paraître, Sainte-Beuve fixe dans Le Globe avec Émile Barrault les principes d’un élan du romantisme vers le peuple. Il est hostile au catholicisme et se sent seul depuis que les Trois glorieuses ont dispersé le Cénacle qui se réunissait dans le salon de Charles Nodier à la bibliothèque de l’Arsenal puis chez les Hugo, rue Notre-Dame-des-Champs. Le saint-simonisme est son nouveau port d’attache et il encourage ses lecteurs à se « jeter en larmes dans les bras de Saint-Simon ». Pendant l’été 1831, il quitte cependant Le Globe pour La Revue des deux mondes et Le National, et se rapproche de Lamennais. Dix ans plus tard, Sainte-Beuve vouera aux gémonies le romantisme social.

Leroux produit plus tard une impression profonde sur George Sand. Il se méfie à la fois des excès du libéralisme et de ceux du socialisme – mot qu’il invente, et cherche à mettre en œuvre ce que l’on nommera plus tard le « socialisme démocratique ». Sand dévore l’Encyclopédie nouvelle dans laquelle Leroux expose sa doctrine. Elle déclare au sujet de son roman Consuelo : "Je ne suis que [le] vulgarisateur [de Leroux] à la plume diligente".Leroux crée La Revue indépendante en 1841 pour publier Horace, le roman politique de Sand refusé par La Revue des deux mondes. Trois ans plus tard, il fonde une colonie socialiste à Boussac, près de Nohant. Sand dédicace Spiridion à Leroux : "A. M. P. L., ami et frère par les années, père et maître par la vertu et la science" [1]. Elle finira par se détacher de Leroux [2].

Les excès de la période Enfantin puis la censure sous le Second Empire explique que rares sont les écrivains, même romantiques et engagés, qui mentionnent dans leur œuvre Saint-Simon ou ses disciples. Michelet s’intéresse à la doctrine saint-simonienne. Dumas fait quelques allusions rapides dans ses Mémoires, Balzac dans La Comédie humaine [3], ainsi que Maxime Du Camp [4]dans ses Souvenirs littéraires. Certains s’attaquent directement à la doctrine de Saint-Simon, tels Stendhal en 1825 dans son pamphlet D’un nouveau complot contre les industriels ou Flaubert dans Bouvard et Pécuchet.
Stendhal vise Saint-Simon lorsqu’il dénonce l’opportunisme de certains industriels : "[…] mon voisin a gagné dix millions à fabriquer du calicot ; tant mieux pour lui et pour ses enfants. Mais depuis peu il fait faire un journal qui me dit tous les samedis qu’il faut que je l’admire comme un bienfaiteur de l’humanité. Je hausse les épaules".
Lorsque Bouvard et Pécuchet s’intéressent à la politique dans le chapitre VI, ils mélangent Saint-Simon et les théories exaltées d’Enfantin. Cela donne : "Ils se procurèrent l’Examen du socialisme, par Morant. Le chapitre premier expose la doctrine saint-simonienne. Au sommet le Père, à la fois pape et empereur. Abolition des héritages, tous les biens meubles et immeubles composant un fonds social, qui sera exploité hiérarchiquement. Les industriels gouverneront la fortune publique. Mais rien à craindre ! On aura pour chef « celui qui aime le plus ». Il manque une chose, la Femme. De l’arrivée de la Femme dépend le salut du monde. « Je ne comprends pas ». « Ni moi ! » Et ils abordèrent le Fouriérisme."

A lire également :
- www.college-de-france.fr/media/his_pol/UPL9834_res0304rosanvallon.pdf

[1] Cf. www.crdp-montpellier.fr/ressources/frdtse/frdtse42d.html.

[2] Leroux s’exile après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Il s’installe d’abord à Jersey, comme Hugo (tous deux s’étaient connus, via Sainte-Beuve, au temps du Globe saint-simonien). Leurs conversations à Jersey sont rapportées librement par Leroux dans La Grève de Samarez.

[3] Cf. par exempleL’illustre Gaudissart : « Gaudissart réclama une indemnité de cinq cents francs pour les huit jours pendant lesquels il devait se mettre au fait de la doctrine de Saint-Simon, en objectant les prodigieux efforts de mémoire et d’intelligence nécessaire pour étudier à fond cet article ». Balzac estimait que « Saint-Simon était un homme remarquable, qu’on n’a pas encore compris. », cité par Walter Benjamin dans Paris, capitale du XIXe siècle, chapitre Saint-Simon, chemins de fer.

[4] Qui se rapproche du saint-simonisme après sa rencontre avec Charles Lambert au Caire en 1850.



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