Difficile d’imaginer Baudelaire sous le Second empire. Pourtant, lorsqu’il décède en août 1867 à 46 ans, il a vécu le dernier tiers de sa vie sous le règne de Napoléon III, période qui le voit, de critique d’art et poète inconnu, devenir le premier traducteur d’Edgar Poe - qu’il a découvert en 1847 - et poète reconnu - le procès intenté aux Fleurs du mal en 1857 n’étant pas pour rien dans sa reconnaissance.
Baudelaire a-t-il tenté de résister au coup d’Etat du 2 décembre 1851 ? Aucun témoignage ne permet de le dire. Celui qui avait en février 1848 participé à la révolution par l’action et par la plume se désintéresse de la politique après décembre 1851. Son hostilité à la bourgeoisie est contrebalancée par son individualisme. "Lorsque l’égalitarisme apparaît comme la plus dangereuse des utopies, on ne peut que détester la société - en révolté", écrivent Claude Pichois et Jean Ziegler dans Baudelaire [1]. "La seule caractéristique politique de Baudelaire est une pensée résolument anarchiste. Il a été anarchiste de gauche. Il va devenir anarchiste de droite".
Baudelaire habite au 25 rue des Marais-du-Temple (devenue rue Albert Thomas) entre juillet 1851 et avril 1852, puis 11 boulevard Bonne-Nouvelle en mai-juillet 1852, puis 60 rue Pigalle entre octobre 1852 et début 1854.
C’est l’époque des soirées au café le Divan Le Peletier, 5 rue Le Peletier. Baudelaire y retrouve Asselineau, Banville, Philoxène Boyer, etc. Après la fermeture du Divan en 1859, les habitués se retrouvent au café de Bade, 32 boulevard des Italiens.
D’autres lieux de retrouvailles sont le restaurant Pinson situé rue de l’Ancienne comédie en face du Procope, la Brasserie des Martyrs, 7 et 9 rue des Martyrs et 8 rue Notre-Dame-de-Lorette, la taverne Saint-Austin, 26 rue d’Amsterdam, le café de Madrid, 6 boulevard Montmartre, le café de Robespierre, rue Neuve-des-Petits-Champs (détruit avec le percement de l’avenue de l’Opéra), le café du 66 rue du faubourg Montmartre…
Cette vie de dandy-bohème cache des aspects moins joyeux. Baudelaire est perpétuellement endetté et recherché par des créanciers, il boit et a des migraines terribles. Ses relations avec les femmes ne sont pas des plus simples.
En 1852, il veut attirer à lui Mme Sabatier, qui vit 4 rue Frochot entre 1847 et 1860 (puis 10 rue de la Faisanderie ensuite) [2] et réunit chez elle Gautier, Du Camp, Flaubert (qui en fait le modèle de la Rosanette de L’Education sentimentale) et son ami Bouilhet, Ernest Feydau… Mais lorsque Baudelaire lui adresse lettres et poèmes, c’est sans révéler ouvertement son nom. Il ne se dévoilera que le 18 août 1857 pour lui demander d’intervenir auprès des juges dans le procès intenté aux Fleurs du mal. Nous verrons plus loin les conséquences (in)attendues de cette lettre.
La première étude que Baudelaire consacre à Edgar Poe est publiée au printemps 1852 dans La Revue de Paris, dont Arsène Houssaye a repris la direction [3] avec Maxime du Camp, Théophile Gautier et Louis de Cormenin. Les Histoires extraordinaires et les Nouvelles histoires extraordinaires paraissent en feuilleton dans Le Pays entre juillet 1854 et avril 1855, puis en librairie en 1856-1857.
Pendant les années 1850, Baudelaire pense s’enrichir avec le théâtre. Il envisage des projets avec Nestor Roqueplan, directeur de l’Opéra de 1847 à 1854, et avec d’autres. Mais, manque de savoir-faire, de motivation ou de patience, aucun n’aboutit.
Le dépositaire parisien de l’éditeur Poulet-Malassis et De Broise [4] est en 1857 la librairie catholique Julien, Lanier, Cosnard et Cie au 4 rue de Buci [5]. C’est là que sont diffusées Les Fleurs du mal en juin. Plusieurs poèmes avaient été publiés auparavant dans La Revue des deux mondes, La Revue française et L’Artiste d’Edouard Houssaye, frère d’Arsène.
Après deux articles scandalisés - et téléguidés par le pouvoir impérial ? - parus dans Le Figaro, le procès se déroule en août. L’accusation est conduite par le substitut du procureur impérial - et futur piètre ministre de l’Intérieur en 1867-1868 -, Ernest Pinard [6], moins redoutable que sa réputation, et plus habile cette fois-ci que lorsqu’il avait poursuivi sans succès Madame Bovary au début de l’année.
Baudelaire est mal défendu par son avocat. Lui et ses éditeurs sont condamnés à une amende ainsi qu’au retrait de six poèmes. Aussitôt, des parisiens se pressent rue de Buci pour découvrir les poèmes condamnés, et les amis de Baudelaire les déclament dans leurs cafés de prédilection. Hugo écrit au poète qu’"Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de la recevoir. […] c’est là une couronne de plus. Je vous serre la main, poète". Du coup, Baudelaire renonce à faire appel.
Un autre événement survient en août 1857 : suite à la lettre qu’elle a reçue, la "présidente" - telle que l’avait surnommée Théophile Gautier - Apollonie Sabatier, amour platonique du poète, se donne à Baudelaire… brisant le rêve qu’elle représentait pour lui. Dès septembre, il redeviennent étrangers l’un à l’autre.
Convaincu que sa condamnation est une erreur judiciaire, Baudelaire se fend le 6 novembre d’une lettre à l’impératrice Eugénie. Elle lui obtiendra une réduction de son amende de 300 à 50 francs.
Le poète vit à l’hôtel Voltaire, 19 quai Voltaire, en 1856-1858 [7], tout près de l’imprimerie, au 13 du quai, du Moniteur universel qui publie entre février et avril 1857 Les Aventures d’Arthur Gordon Pym (publiées en avril 1858 chez Michel Lévy).
Baudelaire quitte l’hôtel pour l’appartement de Jeanne Duval au 22 rue Bautreillis après qu’Ancelle, notaire des Baudelaire, a médit sur son compte auprès du directeur. Il séjourne début 1859 chez sa mère à Honfleur.
Quelques autres adresses liées à la vie de Baudelaire dans les années 1850 :
la mère du poète et son beau-père emménagent en 1853 91 rue du Cherche-midi. Le général Aupick décèdera ici le 28 avril 1857, à la suite de quoi Mme Baudelaire se retire définitivement dans sa "maison joujou" à Honfleur,
il y a bien sûr le Palais de justice, où se déroule le procès d’août 1857,
peu après la condamnation des Fleurs du mal, il découvre dans une boutique du passage des Panoramas une toile de son père,
au 33 rue de Tournon, Mme Orfila, femme du célèbre médecin, réunit chez elle des artistes,
au 60 rue de Seine est logé Emile Geidan et deux de ses camarades. Ils y reçoivent Baudelaire, Banville, Murger, Schanne, etc.
l’adresse de De Calonne, directeur de la Revue contemporaine, est le 57 rue Pigalle,
Charles Méryon, un graveur qu’apprécie Baudelaire, demeure 20 rue Duperré,
Alphonse Legros, illustrateur des Histoires extraordinaires de Poe, habite 289 rue Saint-Jacques,
…
Sources :
Baudelaire, Claude Pichois et Jean Ziegler, ed. Fayard,
Baudelaire, correspondance, Folio classique n°3433,
Baudelaire, Jean-Baptiste Baronian, Folio biographies n°19.
[1] Editions Fayard.
[2] Et dont Clésinger fait le modèle de sa Femme piquée par un serpent, exposée au musée d’Orsay.
[3] Il est en réalité davantage occupé par la Comédie française, dont il est administrateur entre 1849 et 1856.
[4] Beau-frère et associé d’Auguste Poulet-Malassis.
[5] En 1859, l’adresse de l’éditeur est devenue le 9 rue des Beaux-arts.
[6] Son réquisitoire - publié en 1885 dans une version qui n’est pas forcément entièrement conforme à l’originale - est accessible sur http://fr.wikisource.org et un ensemble de documents sur le procès des Fleurs du mal, également sur http://fr.wikisource.org.
[7] Voir l’article Charles BAUDELAIRE à Paris et Honfleur pour une liste plus complète de ses adresses.