"Le point faible de Malraux, c’est son mépris de l’homme - cette idée qu’on peut entonner n’importe quoi aux bipèdes qui l’écoutent bouche bée. Quoi qu’il ait raconté de lui, nous ne l’avons jamais cru tout à fait."
François Mauriac, cité dans André Malraux, une vie, d’Olivier Todd.
Pour entrer dans la légende, il faut y mettre les moyens. Malraux aura passé toute sa vie à mettre les moyens, avec un certain succès.
Il est le Chateaubriand du XXe siècle [1].
Même enfance entourée de femmes, même scolarité atypique, mêmes ambition, égocentrisme et faculté d’inventer des rencontres impossibles (Washington pour Chateaubriand, Lawrence d’Arabie pour Malraux), même goût pour le voyage et l’aventure, même parcours politique original (dans une sorte d’opposition permanente pour l’un ; du communisme au gaullisme pour l’autre) né d’une vision littéraire de la politique, avec un penchant d’André que n’avait pas François-René pour l’action les armes à la main, pour l’art et pour l’extrême-orient, et certainement plus d’aisance du premier à l’oral, usant à l’excès d’une tactique qui impressionne auditeurs et lecteurs : la méthode apophatique, qui définit les choses par ce qu’elles ne sont pas… (ce qui évite d’avoir à dire ce qu’elles sont).
Une autre chose les différencie et les oppose même : leur rapport à l’écriture. Celle-ci n’est qu’un moyen de faire passer des messages pour Malraux (qui n’écrit plus de romans après L’Espoir en 1937, leur préférant l’essai, les mémoires, les discours et, pendant un temps, le cinéma, supports qui vont plus droit au but).
Chateaubriand, lui, accorde de l’importance à ses mots, à tel point qu’il révolutionne la littérature et donne naissance au romantisme [2].
Essayons de suivre un peu Malraux dans ses aventures.
André naît en 1901 et vit ses premiers mois 53 rue Damrémont à Paris.
Vers 1903, Madame Malraux déménage 16 rue de gare à Bondy, son mari ayant quitté le domicile. Là, elle ouvre une confiserie.
Après la guerre, André s’installe avenue Rachel à Montmartre. Ses deux centres d’intérêt sont déjà ceux qui le poursuivront jusqu’à sa mort : les livres rares et les objets d’art, et l’écriture et la critique littéraire. Avec ses amis Pascal Pia et Louis Chevasson, il dîne souvent chez Larue (le restaurant de Marcel Proust, quelques années plus tôt, 3 place de la Madeleine) et fréquente le Lapin agile et le Moulin rouge.
En pleine période dadaïste et surréaliste, il poursuit son propre chemin.
Un peu plus tard, il loue une chambre à l’hôtel Lutétia, boulevard Raspail.
Début 1924, une campagne d’opinion obtient sa libération, après qu’il ait dérobé, avec Clara (épousée fin 1921) et Chevasson, des fragments d’un temple cambodgien.
De retour d’Indochine fin 1924, André et Clara vivent quelques jours 39 boulevard Edgar Quinet à Paris, avant de repartir en Indochine en janvier 25 fonder un journal.
De retour d’Indochine à nouveau, ils emménagent 122 boulevard Murat début 1926. La Tentation de l’Occident paraît bientôt chez Grasset. Malraux est engagé comme directeur artistique chez Gallimard, où il va côtoyer Gide, Paulhan… Fin 1930, son père se suicide.
En 1932, l’adresse des Malraux devient 44 rue du Bac (plaque). C’est ici qu’il compose une partie de La Condition humaine (prix Goncourt 1933) et que, le 22 juillet 1936, il rassemble Léo Lagrange, Ilya Ehrenbourg et d’autres avant de décoller quelques heures plus tard vers l’Espagne, où la guerre civile vient d’éclater.
Entretemps, André a rencontré Josette Clotis, qui demeure en 1933 hôtel du Pont-Royal, puis hôtel du Palais d’Orsay, puis à l’Elysée Parc Hôtel en 1936 et à l’Hôtel du Louvre, puis 9 rue Berlioz et à l’hôtel Royal Versailles, rue de Marois.
Entre deux missions en Espagne, il écrit L’Espoir dans un chalet à Vernet-les-Bains, près de Perpignan.
Il passe l’hiver 1937 à l’hôtel Madison, boulevard Saint-Germain. Josette Clotis est à deux pas, au Royal Condé.
En janvier 1941, après s’être engagé volontaire en 1940, fraîchement évadé (une évasion "confortable", comme il le dit lui-même), Malraux s’installe avec Josette et leur fils à Roquebrune-Cap-Martin, dans la villa La Souco prêtée par la traductrice anglaise de Gide. Ils y demeurent jusqu’à l’automne 1942, avec un intermède mi-41 à la villa Les Camélias à Cap-d’Ail. Il aimerait écrire une biographie de Lawrence d’Arabie mais le projet n’aboutira pas.
Grâce à Pascal Pia, il commence à correspondre avec un jeune inconnu, Albert Camus, dont il va appuyer les premières œuvres.
Voilà ensuite les Malraux à Saint-Chamand près de Brive, où Malraux loue un petit château.
Lorsque ses deux frères Claude et Roland, engagés dans la Résistance, sont arrêtés en mars 1944, il passe à l’action. Il quitte le château de Saint-Chamand pour celui de Castelnaud, puis pour Limeuil, puis le château de La Vitrolle. Sous le nom de colonel Berger, il se donne des galons dans les maquis de Dordogne et de Corrèze.
En juillet, il est arrêté par les allemands, atterrit à la prison Saint-Michel de Toulouse et est libéré le 19 août quand les allemands évacuent la ville.
En septembre, il retrouve le général de lattre de Tassigny à son QG, l’hôtel de la Cloche à Dijon. Le 12 novembre, Josette décède à Saint-Chamand, écrasée par un train (Malraux perdra également ses deux fils dans un accident de voiture, le 23 mai 1961).
Il a pris la tête de la brigade « Alsace-Lorraine ». Ses faits d’armes rachètent la fausse gloire militaire de Fernand Malraux, son père.
Il emménage en 1945 19 bis avenue Victor Hugo à Boulogne. Clara et leur fille Florence s’installent 17 rue Berthollet à Paris. Sa rencontre avec le général de Gaulle l’implique rapidement dans la vie politique. Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, comme Chateaubriand ? Non. En 1959, un ministère se crée pour lui, celui des Affaires culturelles.
En 1962, de Gaulle lui propose d’occuper le pavillon de La Lanterne, dans le parc du château de Versailles. Cela le rapproche d’une ancienne connaissance : Louise de Vilmorin, qui vit dans son château de Verrières (2 rue Estienne-d’Orves).
En 1969, elle l’invite à s’installer dans un appartement du château (elle y décède le 26 décembre).
Il achète bientôt un duplex rue de Montpensier, non loin du ministère qu’il quitte cette année-là, avec le départ des affaires du général de Gaulle.
Ses dernières années sont celles de l’écriture de ses Antimémoires… d’outre-tombe.
Petite bibliographie
André Malraux, une vie. Olivier Todd. Folio n°3732.
[1] Le vicomte fait d’ailleurs partie du panthéon du jeune André, aux côtés de Dumas, Hugo, Lamartine, Michelet.
[2] Ainsi Thomas Clerc (dans son article "Malraux et ses mythes", Le Monde, 21 novembre 2001) reproche à Malraux de n’avoir considéré l’écriture que comme un moyen de présenter des débats d’idées souvent naïfs.
Pendant leur séjour de 1925 (environ une année) à Saigon, alors qu’ils travaillaient au journal L’Indochine, puis L’Indochine Enchaînée, Clara et André ont été en pension à l’Hôtel Continental, alors un des meilleurs hôtels d’Asie, qui existe toujours.
Le 39 Bd Edgar Quinet n’existe plus.
L’appartement de la rue Montpensier n’a jamais été habité par André Malraux et Louise de Vilmorin, cette dernière décédant en décembre 1969 alors qu’elle avait entrepris de le décorer.
André Malraux a habité le château de Verrières des Vilmorin jusqu’à sa mort en novembre 1976 : Louise, puis sa nièce Sophie, de Vilmorin ont été ses compagnes successives.
Les domiciles successifs sont mieux compris si l’on connait la réflexion de Brigitte Friang : « Il n’est pas douteux que Malraux ne développait qu’un goût fort modéré pour la médiocrité matérielle… »
Enfin, s’agissant de Chateaubriand et Malraux, la remarque de Georges Poisson ( Monsieur de Saint-Simon, Flammarion, 2000 ) parait tout à fait pertinente : "Louis [de Saint-Simon] inaugurait la série des grands écrivains médiocres hommes d’Etat : Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, André Malraux… "
Jacques Haussy