Yukio MISHIMA à Tokyo

Le samedi 27 novembre 2010.

Yukio Mishima, de son vrai nom Kimitake Hiroaka, est né à Tokyo en 1925. Un homme de la ville donc, un urbain mais aussi un homme enraciné dans un terroir, celui de sa grand-mère paternelle, femme cultivée qui lui transmettra le virus de la littérature et du théâtre traditionnel japonais, le Kabuki. Tout jeune adolescent, il écrit déjà des récits qu’il fait lire à sa mère avec qui il gardera toujours des liens étroits. Dans la capitale, il fréquente les milieux littéraires de "l’École romantique" et devient vite un intellectuel remarqué qui publie une première œuvre "La Forêt tout en fleur" dans la revue ‘Art et culture’.

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Tokyo-Shinjuku : quartier de Tokyo où Mishima a vécu

En apparence, il est un homme comblé, valeur montante de la littérature japonaise. Mais il se sent écartelé entre la vie brillante qu’il mène à Tokyo et la vie paisible du monde rural [1], entre l’attrait pour le mode de vie occidental et le respect de la tradition [2], entre les troubles qu’il ressent et l’image qu’il donne de lui-même. Dans "Confession d’un masque" publié en 1949, aux accents autobiographiques marqués, il évoque sa difficulté d’être dans les relations sociales ainsi que son homosexualité qu’il a longtemps refusée.

Lui qui parviendra plus tard à se transcender dans le sport et la force physique, est un adolescent chétif et hyper sensible [3] qui sera même réformé pendant la guerre en 1941, ce qu’il vivra comme un affront personnel. Par un effort de volonté extraordinaire, il va décider d’exorciser ses démons, de s’astreindre à un entraînement physique intensif qu’il entretiendra constamment et deviendra même expert en Kendo. Sur le plan sentimental, après quelques liaisons homosexuelles fugaces, il fréquente la future impératrice Shoda Michiko et finit par se marier avec Yoko Sugiyama dont il aura deux enfants. Mais son comportement reste ambivalent et par exemple, il jouera en 1968 dans "Le lézard noir" [4] avec son amant, le travesti Akihiro Miwa [5].

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Tokyo-Shibuya : autre quartier central de Tokyo que Mishima a fréquenté

Lui, le japonais ‘occidentalisé’, va réagir violemment contre ses tendances et adopter des positions nationalistes radicales. Il constitue sa propre milice, le Tatenokaï (la société du bouclier) pour rétablir les valeurs ancestrales et être le bras armé de l’empereur. En août 1970, un peu plus d’un mois avant sa disparition, il déclarera : « L’argent et le matérialisme règnent ; le Japon moderne est laid. »

Á partir de 1965, Mishima s’attelle à ce qu’il considère comme sa grande œuvre, une tétralogie qu’il intitule "La mer de la fertilité" [6] (Hôjô no umi) par référence à la plaine désertique lunaire, symbole à ses yeux du désert qu’est devenu son pays. Il y peint une grande fresque historique allant de la guerre russo-japonaise aux lendemains de la seconde guerre mondiale, fouillant les replis de la société japonaise dans ses contradictions et ses évolutions qu’il supporte de plus en plus mal. La réalité de Mishima va finir par rejoindre la fiction de l’écrivain, le tome II de sa tétralogie met en scène un Seppuku, le suicide rituel façon samouraï.

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Kuniyoshi Utagawa : illustration de la couverture de sa tétralogie (d’après une estampe sur bois de Kuniyoshi Utagawa)

Le 25 novembre 1970, après avoir terminé sa tétralogie et expédié le manuscrit à son éditeur, il met en scène et interprète le dernier acte de sa vie, qu’il a conçu comme une grande tragédie classique vibrant du souffle épique du héros. En compagnie de quelques disciples, il investit L’École militaire du ministère de la défense, tient un grand discours, digne et patriotique devant un auditoire médusé et plutôt hostile, et se retire avec ses compagnons. Puis, avec l’aide de son ami Masakatsu Morita, il se donne la mort selon le rituel codé et ancestral de la décapitation au sabre, le Seppuku.

Le rideau vient de tomber sur le théâtre de sa vie. Il avait 45 ans. Dans "Chevaux échappés", il écrivait déjà : « Toute pensée n’est valable que si elle passe aux actes. »

Dans sa biographie de Mishima [7], Marguerite Yourcenar écrivait : « La façon dont chez Mishima les particules traditionnellement japonaises ont remonté à la surface et explosé dans sa mort font de lui… le témoin, au sens étymologique du mot, le martyr du Japon héroïque qu’il a pour ainsi dire rejoint à contre courant. »

Christian Broussas, Feyzin, le vendredi 26 novembre 2010.

Références bibliographiques :
- " Correspondance entre Mishima et Kawabata" (1945-1970) ;
- " Madame de Sade", pièce sur la femme du ‘divin marquis’ - voir la fiche que j’ai ouverte sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_de _Sade ;
- " Mort et vie de Mishima" par Henri Scott-Stokes - voir la fiche que j’ai ouverte sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mort_et_vie_de_Mishima ;
- "Soif d’amour " : roman publié en 1950, drame domestique dominé par la jalousie, une jeune veuve Etsuko est tiraillée entre deux hommes, et peinture désabusée de la pression de la hiérarchie et du milieu social dans la campagne des environs d’Osaka. 

[1] Dans son roman "Une soif d’amour" publié en 1950, Mishima décrit l’opposition entre le monde urbain et le monde rural. Á Tokyo, il vivra dans sa grande villa à l’occidental, gardant jalousement juste à côté la maisonnette purement nippone de ses parents, conscient de cette double culture.

[2] Il peut écrire aussi bien une adaptation d’une pièce nô, "Dōjōji" en 1953, "Cinq Nôs modernes" en 1956 ou des œuvres traitant du monde occidental comme "Madame de Sade" en 1965 ou "Mon ami Hitler" en 1968. Ceci peut être rapproché de cette réflexion : « Mishima représente ce paradoxe d’une double culture d’occident et d’orient qui finit par s’incarner dans ce que la culture japonaise a de plus spécifique. »

[3] Il sera fasciné par les représentations de Saint-Sébastien , en particulier celle de Guido Reni qui représente un éphèbe à demi nu percé de flèches.

[4] "Le lézard noir" : film de Kinji Fukasaku d’après Edogawa Rampo où jouent Mishima et Miwa. Mishima en fera une adaptation théâtrale l’année suivante.

[5] Akihiro Miwa : parolier, compositeur, acteur, écrivain, chanteur et transformiste né en 1935 à Nagasaki.

[6] Tétralogie qui comprend : Neige de printemps, Chevaux échappés, Le temple de l’aube et L’ange en décomposition (ou l’ange pourri selon la traduction de ‘Tennin Gosui’).

[7] Marguerite Yourcenar, "Mishima ou la vision du vide", Éditions Gallimard, 1981.



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