Bien décidé à rompre avec son milieu parisien et la vie qu’il mène dans la capitale, Roger Vailland s’installe avec sa compagne Élisabeth Naldi dans le hameau Les Allymes, perché au-dessus d’Ambérieu-en-Bugey dans l’Ain, à la ’’Grange aux loups’’, dans une maison au confort rudimentaire.
Chez eux, ce n’est pas la prestance de la forteresse du XIIIème siècle qui, avec son donjon de type roman et sa tour circulaire, domine le hameau. A vrai dire, c’est le hasard qui a décidé ou plus exactement ses amis André Ulmann et Suzanne Tenand qui leur prêtent cette maison de campagne où ils résideront de 1951 à 1953, avant de déménager à Meillonnas, toujours dans l’Ain [1]. Même si la vie matérielle est difficile, leur séjour aux Allymes sera une période faste : Élisabeth Naldi l’appellera "la merveilleuse saison des Allymes." Lui-même écrira plus tard en se remémorant cette période : "Je me battais, j’apprenais, j’étais heureux. J’écrivais Beau masque" [2].
Son séjour aux Allymes, Roger Vailland y fait allusion à plusieurs reprises, aussi bien dans une série d’articles intitulée La vie à la campagne [3] que dans Le nouveau seigneur de l’Albarine [4].
Dans l’introduction de son essai De l’amateur, il écrit : « J’habitais (alors) un hameau dans une clairière, au cœur de la forêt qui couvre les contreforts méridionaux du plateau d’Hauteville. Par les sentiers de montagne, tantôt je gagnais les cités ouvrières de la vallée de l’Albarine, où se traite la soie artificielle, tantôt je descendais jusqu’au dépôt de chemin de fer d’Ambérieu-en-Bugey. »
Il vit alors au rythme du militant qu’il devient, se lie d’amitié avec Henri Bourbon, député communiste de l’Ain, colle des affiches, participe à des meetings, découvre la vie des paysans de son village et celle du milieu ouvrier :
la lutte des cheminots d’Ambérieu qui inspirera son roman Un jeune homme seul, Ambérieu que Vailland rebaptise "Sainte-Marie des Anges" dans son roman ;
la lutte des ouvrières de la vallée de l’Albarine où est né son roman Beau masque. Saint-Rambert-en-Bugey, le village où se déroule l’action, n’est qu’à une dizaine de kilomètres d’Ambérieu. Là-bas, il rencontre Marie-Louise Mercandino qui sera "Pierrette Amable", l’héroïne de son roman ;
l’exploitation des travailleurs du plastique d’Oyonnax, qui deviendra Bionnas dans son roman 325.000 francs [5].
C’est là qu’il fait, comme il l’a écrit, « ses adieux à la culture bourgeoise ». Il écrit beaucoup, non seulement des romans mais aussi Borodoudour, récit de son récent voyage en Indonésie où il est allé en reportage juste avant son arrivée aux Allymes. Il poursuit ses voyages, en Égypte [6] puis dans les pays d’Europe de l’est, rencontre Bertold Brecht à cette occasion et, à son retour écrit un essai Expérience du drame.
Son départ des Allymes, il le relate lui-même bien des années plus tard : « L’interdiction en France (de ma pièce) Le colonel Foster plaidera coupable, dont je suivis les représentations jusqu’à Moscou, mon aventure égyptienne, des circonstances de ma vie privée, m’obligèrent à quitter la clairière. »
Ici, le temps est lent. La vie tranquille
S’étire au fil des jours, loin de la ville.
D’ici, le panorama est sublime
Vu du sommet du château des Allymes.
Autres pages consacrées à la région :
Saint-Exupéry à Lyon, Paris… : la demeure familiale à Saint-Maurice de Rémens, à quelques kilomètres d’Ambérieu
Albert Camus à Lyon en 1943,
Claude Bernard à St Julien en Beaujolais et Lyon,
Bernard Clavel à Château-Châlon,
…
Voir aussi le site consacré à Roger Vailland : www.roger-vailland.com
Christian BROUSSAS (christian.broussas at orange.fr), Feyzin, le vendredi 22 mai 2009.
[1] Voir la page Roger Vailland à Chavannes et à Meillonnas.
[2] De l’amateur : court essai intégré en 1963 dans son recueil d’essais Le regard froid
[3] Voir Roger Vailland, biographie co-écrite par sa femme Élisabeth Vailland et René Ballet, parue chez Seghers, 1973
[4] Voir la série d’articles parue dans le journal Les Allobroges du 12/04/ au 03/05/1953 et reprise dans Chronique tome I : d’Hiroshima à Goldfinger en 1984
[5] Ces trois romans feront l’objet d’adaptations pour le cinéma et la télévision
[6] D’où il rapportera un récit intitulé Choses vues en Égypte – Éditions Défense de la paix, 1952, Gallimard, 1981