De 1900 à 1977, la vie de Prévert traverse le XXe siècle. Il commence en pleine affaire Dreyfus et termine plus vieux que la plupart de ceux qu’il a croisés en chemin, des surréalistes à Vian et d’autres germanopratins, en passant par les vedettes du cinéma et de la chanson des années trente jusqu’à sa mort. Les secrets de sa bonne santé ? Trois paquets de cigarettes quotidiens depuis l’adolescence, un tempérament révolutionnaire - formé dès la petite enfance au contact de la pauvreté - mais apolitique - il n’adhère jamais au parti communiste de peur d’être enfermé "dans une cellule". Bref, l’indépendance d’esprit à l’état pur.
M. Prévert père - un peu comme M. Joyce père - lègue à son fils la joie de vivre… dans la dèche.
Jacques naît en 1900 19 rue Louis-Philippe à Neuilly.
Après quelques années de jeux partagés non loin, rue Saint-Pierre, avec un jeune Louis Aragon qu’il retrouvera plus tard, et alors que dreyfusards et antidreyfusards s’affrontent encore dans les rues aux cris de "A bas Loubet" (qui est à la fois le président de la République et le chat des Prévert), Jacques, ses frères Jean et Pierre et leurs parents emménagent dans un rez-de-chaussée rue Jacques Dulud.
La situation de M. Prévert n’est pas brillante. La famille descend à Toulon avec l’espoir de changer de vie. Elle s’installe dans un hôtel qui donne place Armand-Vallée.
Retour à Paris, au 3e étage du 7 rue de Vaugirard. Jacques va à l’école pas très loin, au n°9. Les jardins du Luxembourg sont son terrain de jeux, même si les gardiens le chassent régulièrement des pelouses.
La famille migre ensuite 4 rue Férou.
La rentrée 1908 voit Jacques intégrer l’école André-Hamon, 68 rue d’Assas, où il est élève jusqu’en 1914.
Nouvelle adresse pour les Prévert en 1910 : le 5e étage du 5 rue de Tournon, où les ont précédés Charles Cros, Gambetta et Alphonse Daudet. Au rez-de-chaussée habitent les Dienne, dont Simone qui deviendra en 1925 la première Mme Jacques Prévert. Et la fille d’un ami des Dienne, Colette Jéramec, deviendra la femme de Roland Tual, surréaliste et un des meilleurs amis de Jacques.
Les Prévert déménagent encore rue Saint-Sulpice, et enfin au 4e étage du 7 rue du Vieux-colombier, où ils vivent entre 1912 et la mort de M. Prévert en 1936 et de Mme Prévert en 1946.
Le bâtiment central est occupé par une caserne de pompiers.
Jacques accompagne son père dans les cafés, en particulier Les Deux Magots et Lipp. Avec ses copains, il joue les terreurs du quartier. Jean, le grand frère, meurt de la typhoïde en 1915.
Jacques est embauché comme vendeur dans un bazar de la rue de Rennes cette même année, puis au Bon Marché en mars 1916. Les cafés de Montparnasse, non loin, l’accueillent après sa journée de travail. Il est remercié en août 1916 pour s’être intéressé de trop près à une collègue.
Il s’installe en 1924, avec Simone, dans une chambre du passage Lathuile, puis boulevard Bonne Nouvelle chez Marcel Duhamel qu’il a rencontré au service militaire et qui est, à 24 ans, directeur de l’hôtel Grosvenor rue Pierre Charron (et plus tard de L’Ambassador boulevard Haussmann jusqu’en 1928, date à laquelle il démissionne). Yves Tanguy, autre copain de régiment de Lunéville à Constantinople, partage la vie commune.
Tous s’installent bientôt 54 rue du Château dans une maison (aujourd’hui disparue) qu’achète Duhamel. Leurs principales activités sont, après un réveil en début d’après-midi et la lecture des journaux ou des livres empruntés à La Maison des amis des livres d’Adrienne Monnier, de déguster chaque soir les repas rapportés du Grosvenor par Duhamel, et, après un cinéma, d’écumer les terrasses des cafés de Montparnasse. Prévert ne se lance pas encore dans l’écriture.
Cette vie communautaire dure quatre années [1]. Le petit groupe se reconnaît tout à fait dans les attitudes provocatrices du mouvement dada, puis dans le manifeste Un cadavre composé par Breton, Soupault, Eluard, Delteil, Drieu la Rochelle et Aragon à l’occasion des funérailles d’Anatole France en octobre 1924 (cette année est aussi celle du Manifeste du surréalisme et de la naissance de la revue La Révolution surréaliste). Il faut attendre mi-1925 pour que Prévert et Duhamel fassent la connaissance de Robert Desnos dans un restaurant de Montparnasse. Ce dernier le présente aussitôt à Aragon et Benjamin Péret, qui emménage sans attendre rue du Château. Puis la "bande à Prévert" prend rapidement le chemin des réunions surréalistes chez Breton, rue Fontaine, ou au café Cyrano. Lors d’une soirée "surréaliste", le génie créatif de Prévert, toujours en ébullition, invente le jeu du cadavre exquis.
Il se décide enfin à écrire en 1928. A peine installé à l’hôtel Le Radio, rue Coustou, il compose ses premiers poèmes et scénarios (ces derniers pour Duhamel, qui se essaie de se lancer dans le cinéma). Ce n’est pas pour autant la fin de la dèche pour Simone et Jacques, hébergés un temps par Alberto Giacometti dans son atelier du 14 rue Hippolyte-Maindron.
En 1929, Prévert rencontre l’acteur Pierre Batcheff, qui les accueille chez lui square de Robiac et lui commande des "vrais" scénarios. Très vite, les dons de Prévert sont remarqués et il commence à être sollicité par des revues d’avant garde.
Lassé par son dogmatisme, il se détache d’André Breton. Aux Deux Magots, il compose en 1929 Un Cadavre, pamphlet anti-Breton conçu sur le modèle du Cadavre de 1924.
Simone et Jacques s’installent 39 rue Dauphine en 1931, puis villa Duthy en 1932. Cette époque le voit écrire des pièces de théâtre pour le groupe Octobre [2] et ses premiers scénarios pour Marcel Carné et Claude Autant-Lara, et prendre sous son aile le décorateur Alexandre Trauner. Cependant, l’originalité de ses textes choque plus souvent le grand public qu’elle ne l’amuse.
Il aime fréquenter le restaurant Chéramy, 10 rue Jacob, qui lui fait crédit ainsi qu’à tous ses amis.
On retrouve les membres du groupe Octobre dans le casting du Crime de M. Lange, tourné par Jean Renoir sur un scénario de Prévert, sorti en janvier 1936 et qui connaît un grand succès populaire.
A la fin de l’automne 1935, après avoir vécu à l’hôtel Acropole boulevard Saint-Germain près de la Rhumerie martiniquaise, il s’installe avec Jacqueline Laurent au 7e étage de l’hôtel Montana, 28 rue Saint-Benoit, collé au café de Flore.
En 1937 sort Drôle de drame, dont le titre a été trouvé par Violette Leduc, une assistante du film, et qui inspirera l’expression "drôle de guerre" plusieurs mois plus tard. C’est un échec que rattrape un an après le succès de Quai des brumes.
Prévert emménage place Dauphine puis rue du Bac. 1939 est l’année du Jour se lève, dont il écrit les dialogues à l’hôtel de L’Aiglenoir à Fontainebleau.
L’exode de 1940 pousse Jacques et sa nouvelle compagne Claudy jusqu’à l’Hôtel de Castille à Cannes avec Trauner, Brassai, Kosma, puis, en 1941, plus à l’abri à l’hôtel La Résidence à Saint-Paul-de-Vence. Ils louent une maison à Tourette-sur-Loup et séjournent aussi à l’hôtel de La Bouée, à La Garoupe au Cap d’Antibes, où se dessinent les grandes lignes du scénario des Visiteurs du Soir. Prévert continue en effet d’écrire pour le cinéma, tout en refusant de travailler pour les producteurs collaborationnistes et en protégeant ses amis recherchés par la police française ou la Gestapo.
En 1943, il écrit le scénario des Enfants du paradis dans l’auberge du Prieuré des Valettes, entre Tourette-sur-Loup et Pont-du-Loup. Le tournage se déroule en 1943-44 entre Nice et Paris. Jacques fait des allers-retours à Paris, où il loge à l’hôtel de Nice rue des Beaux-Arts. Il partage bientôt sa chambre avec Janine Tricotet, résistante et future (et dernière) Madame Prévert. Il retrouve souvent Desnos au café de Flore et y croise Sartre et Beauvoir.
Il loue en 1944 la villa La Miette à Saint-Paul-de-Vence. Après la guerre, il emménagera dans la maison de l’Ormeau, près de la poste.
En 1945, il s’installe 7 villa Robert-Lindet à Paris avant de retourner vivre dans l’hôtel de la rue des Beaux-Arts. Avec la parution de Paroles et la composition de textes pour Yves Montand et d’autres, Prévert, se retirant un peu du cinéma, devient la vedette de Saint-Germain-des-Prés et du tout Paris.
Petite bibliographie
Jacques Prévert. Yves Courrière. Gallimard, 2000.
Libertad ! Dan Franck. Flammarion, 2004.
[1] En 1928, Duhamel vend le 54 à George Sadoul et André Thirion.
[2] Dont deux des PC sont le bureau de dessinateur de Raymond Bussières à l’Hôtel de Ville et le café de Flore.