1830 : Paris se révolte

Des écrivains sur les barricades
Le mercredi 15 décembre 2004.

George Sand fête ses 26 ans le 1er juillet 1830. À la fin du mois, elle apprend à Nohant les événements parisiens et s’inquiète de leur violence. Son enthousiasme républicain ira croissant proportionnellement avec son amour pour Jules Sandeau, jeune étudiant qu’elle rencontre à cette époque et avec qui, à la fin de l’année, elle décide de s’installer à Paris.
De ses fenêtres du 5e étage du 25 - actuel 29 - quai Saint-Michel, elle assistera en juin 1832 à d’autres affrontements violents (mais c’est une autre histoire).

Hugo, avec sa résistance à « Napoléon le petit » et ses Misérables, se taillera une belle réputation de républicain. Pour l’heure (et jusqu’en 1848), il est plutôt monarchiste, ne participe pas aux « Trois glorieuses » et le regrettera toute sa vie. De son appartement du 9 rue Jean-Goujon, il entend les cris et le bruit des armes. Il pense et note quelque part : « Ne tombons pas du tocsin au charivari ». Sa femme Adèle écrira après-coup dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie : « M. Victor Hugo, tout en voyant dans la République la forme définitive de la société, ne la croyait possible qu’après préparation ; il voulait qu’on arrivât au suffrage universel ; la royauté mixte de Louis-Philippe lui semblait une transition utile ».
Le 25 juillet 1830, il écrit la première ligne de Notre-Dame-de-Paris. Le 28, Adèle donne naissance à une petite… Adèle.
Dans Les Misérables, il mettra en scène d’autres journées révolutionnaires.

Le légitimiste Balzac, lui, est domicilié 1 rue Cassini depuis 1828. Entre juin et septembre 1830, il séjourne à la Grenadière à Saint-Cyr-sur-Loire, en compagnie, jusque vers le 20-25 juillet, de madame de Berny qui retourne ensuite seule à Paris. Le 25 juillet, Balzac se rend à pied de la Grenadière à Saché et c’est à Saché qu’il se trouve pendant les Trois glorieuses. Alors que la tension monte à Paris, c’est délibérément qu’il choisit ainsi de rester en Touraine. Le 21 juillet, il écrit à Ratier, directeur du journal La Silhouette : « J’en suis arrivé à regarder la gloire, la Chambre, la politique, l’avenir, la littérature, comme de véritables boulettes à tuer les chiens errants et sans domicile. »
Il se préoccupe pourtant d’écrire et encore d’écrire. L’année 1830 est celle de ses premiers succès journalistiques, qui précèdent de peu ses grands succès littéraires.
Les trois journaux auxquels il collabore, Le Voleur (d’Emile de Girardin), La Mode et La Silhouette, ne s’associeront pas à la résistance de Thiers et du National le soir du 26 juillet.
Aux yeux de Balzac, la révolution de 1830 n’est qu’un rideau de fumée [1] auquel il refuse le titre d’événement, même dans La Peau de chagrin dont l’action se déroule dans la capitale, entre autres en juillet 1830.

Dumas, quant à lui, n’a pas légué à l’histoire une aussi belle image de républicain.
Pourtant, ce qu’il fait entre le 27 juillet et les premiers jours d’août 1830 la lui aurait méritée, même s’il participe aux événements plus par goût de l’action que par conviction politique. Et même si son récit des journées (Mes Mémoires, chap. CXLIII à CLXIV) le fait paraître un peu plus « mousquetaire » que dans la réalité, avec une exactitude historique, géographique et biographique parfois légèrement douteuse.

Dumas et Chateaubriand ont été de cette révolution (pour le second, voir les Mémoires d’outre-tombe, livre trente-troisième). Ce que Dumas vit dans la rue, Chateaubriand le vit entre ses murs de la rue d’Enfer - le 88 rue Denfert-Rochereau, où il demeure avec sa femme - et à la Chambre des pairs - aujourd’hui le Sénat -, dont il va démissionner aussitôt le nouveau pouvoir mis en place, abandonnant avec fracas la vie politique.
L’un apporte aux événements ses vues géopolitiques et son horreur de tout ce qui n’est pas Bourbon et monarchique de droit divin. L’autre, en costume de chasse et les armes à la main, entraîne son lecteur à travers les barricades avant de filer, entre le 30 juillet et le 1er août, chercher à Soissons de la poudre pour La Fayette et les insurgés.

Plantons le décor.
Juillet 1830. Depuis des mois, le peuple et les bourgeois sont mécontents. Il y a la crise économique, et aussi la défiance grandissante à l’égard du roi Charles X. Celui-ci ne trouve rien de mieux à faire que, dans un maladroit réflexe de défense, lancer le 25 juillet quatre ordonnances. La première suspend la liberté de la presse ; la seconde dissout la Chambre des députés ; les troisième et quatrième modifient le régime des élections pour assurer une majorité favorable au roi.

En réponse à ces quatre ordonnances : les « Trois glorieuses » des 27, 28 et 29 juillet, telles que Balzac les baptise en 1847. Durant ces trois jours, prenant le relais des journalistes et ouvriers typographes, le peuple dresse des barricades dans les rues de la capitale. Le 27, des journaux paraissent sans autorisation, sachant qu’ils seront saisis, avec l’idée de plaider ensuite l’illégalité des ordonnances. L’après-midi, les soldats ouvrent le feu.
Le 28, la situation reste à l’avantage du pouvoir. Le 29, contre toute attente, elle passe à l’avantage des insurgés, qui sont quelques milliers seulement. Mais l’issue de ces journées ne sera pas une seconde République (pour cela, il faudra attendre 1848). Le 30 juillet, le duc d’Orléans est poussé sur le devant de la scène par des républicains qui ont encore trop peur de la République. Le 9 août, il devient Louis-Philippe, roi des français.

Voici où se trouvent Dumas pendant ces trois jours, si nous nous fions à ses Mémoires.

Entre deux excursions dans la capitale en révolution, Dumas repasse souvent à trois adresses :
  le 25 rue de l’Université, qui est son adresse entre 1829 et 1831 (au 4e étage),
  le 7 rue de l’Université, où demeure, au 3e étage, sa maîtresse du moment, Belle Krelsamer alias Mélanie Serre,
  et le 7 rue Madame, où il loue un appartement pour sa mère, qu’il passe rassurer souvent pendant ces trois jours.

Lundi 26 juillet au matin, curieux de savoir ce que va déclencher la publication des ordonnances dans Le Moniteur (il a demandé à son domestique de préparer son fusil de chasse et deux centaines de balles…), Dumas se rend au Palais-Royal, demeure depuis 1814 du duc d’Orléans, qui se trouve alors à Neuilly.
Le Palais-Royal et son habitant sont familiers à Dumas, puisque, depuis 1823, il y occupe 216 rue Saint-Honoré, à l’angle de la rue des Bons-Enfants, différents emplois au service du duc, emplois dont l’intérêt et la rémunération décroissent au fur et à mesure que Dumas consacre plus de temps à ses maîtresses et à ses œuvres littéraires qu’à son employeur (il finira par se brouiller avec Louis-Philippe fin 1830, après une dernière mission d’étude en Vendée).

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Le Palais-Royal.

Il s’arrête au café Foy, 56-60 galerie Montpensier, avant, devant le peu d’animation générale, d’accompagner son ami Etienne Arago (qui sera très actif les deux jours suivants) à l’Académie française (place de l’Institut) pour écouter un discours de François, son frère astronome. Dumas ne le dit pas encore, mais il va se trouver au même endroit, trois jours plus tard et dans d’autres circonstances…

Le 27 au matin, il se rend avec Armand Carrel, directeur du National (fondé par François Arago), dans les bureaux du journal Le Temps, 93 rue de Richelieu, dont les gendarmes tentent sans succès de saisir les presses. Dumas et Carrel vont ensuite, vers 14 heures, au National rue Saint-Marc (appelée à l’époque rue Neuve-Saint-Marc dans cette portion de la rue), au coin de la place des Italiens (aujourd’hui place Boieldieu ; Dumas y a habité au n°1 en 1823-24 - plaque). Dans ces bureaux, Thiers et des représentants des journaux censurés ont le soir précédent rédigé une vigoureuse protestation destinée à être diffusée le 27 dans la presse (c’est le même Thiers qui, en tant que ministre de l’Intérieur en avril 1834, fera voter une loi muselant les crieurs publics et colporteurs d’information et soumettant les associations à une autorisation préalable).
Chateaubriand décrit comment, l’après-midi, dans la rue du 29 juillet (alors rue du Duc-de-Bordeaux), les forces de l’ordre sont attaquées à jets de pierre et se retrouvent face-à-face avec des insurgés quand un coup de fusil part d’un certain hôtel Royal, rue des Pyramides, et déclenche le feu des troupes.
C’est en quittant le journal que Dumas (il est environ sept heures du soir) se retrouve place de la Bourse, attiré par l’écho de ces coups de feu. Après quelque temps, il s’apprête à retourner chez lui rue de l’Université lorsqu’il aperçoit des soldats remonter la rue Vivienne. Il choisit comme poste d’observation le café du Théâtre des Nouveautés (situé alors dans la rue Vivienne en face de la Bourse) et assiste à des affrontements, avant de se diriger à nouveau, à minuit, vers son domicile, par la rue Vivienne, la rue des Petits-Champs, la rue de Richelieu et la rue de l’Échelle. Il passe devant le château des Tuileries, demeure de Charles X alors à la campagne à Saint-Cloud (endommagé en 1870-71 et détruit en 1883, le château se trouvait entre l’Arc du Carrousel et le jardin des Tuileries, à la hauteur du Pont Royal).

Le matin du 28, Dumas endosse son costume de chasse. Il pressent - et il a raison - que cette journée va être sa première occasion d’entendre siffler des balles. Après une échauffourée en bas de chez lui avec des soldats, il se dirige à nouveau vers les bureaux du National, par la place de la Concorde (pour éviter les troupes massées aux Tuileries), la rue Saint-Honoré, la rue de l’Echelle. Il en profite pour monter au premier étage de son ancien bureau situé au 216 rue Saint-Honoré. Il assiste de là, en compagnie de son ancien chef Oudard, au passage de la troupe qui se dirige vers les insurgés regroupés à l’hôtel de Ville.
Le maréchal Marmont a lancé du Louvre quatre colonnes de soldats : une vers la Bastille par les boulevards, une autre toujours vers la Bastille mais par les quais, une autre vers les Halles et une dernière remontant la rue Saint-Denis.
Puis Dumas reprend sa route par la rue de Richelieu [2]. Après s’être arrêté au National, il revient sur ses pas pour rechercher de la poudre et des armes : du pont de la Concorde, il aperçoit le drapeau tricolore - celui de la Révolution et de l’Empire - qui flotte sur Notre-Dame ! Il perçoit aussi de la fumée et le bruit d’une fusillade autour de l’hôtel de Ville. Suivi par une petite troupe, il se rend rue Mazarine, où, devant une porte de l’Institut, on distribue de la poudre, puis passage Dauphine, où on distribue des balles.

Dumas et quelques hommes tentent ensuite de rejoindre la place de Grève (place de l’Hôtel de Ville) où a éclaté une fusillade. Ils avancent par la rue Guénégaud, le Pont Neuf et le quai de l’Horloge. Au quai aux Fleurs - alors quai de Napoléon - (ou à l’actuel quai de la Corse - alors quai Desaix, entre le Pont au Change et le Pont Notre-Dame, et quai Napoléon plus à l’Est ? Dumas est peut-être imprécis dans ses Mémoires…), ils se trouvent face à un régiment du roi. Ils rebroussent chemin par la rue de Harlay, le quai des Orfèvres, la rue de la Draperie, la rue de la Cité et la ruelle de Glatiny (la première et la dernière ont disparu et se trouvaient à l’emplacement actuel de la rue de Lutèce et de la place Louis-Lépine). S’engageant sur le pont suspendu lié au pont Notre-Dame, ils sont mis en déroute par un canon qui mitraille depuis la place de Grève, et s’éparpillent dans les ruelles de l’île de la Cité qui feront bientôt le bonheur d’Eugène Sue dans ses Mystères de Paris… et celui du baron Haussmann lorsqu’il les rasera. Ayant échappé aux projectiles, Dumas se réfugie rue Mazarine chez son ami Lethière, et regagne en milieu de soirée le 25 rue de l’Université.
Mais au lieu de se coucher, il repart à la chasse aux informations, désirant en particulier sonder les opposants au régime. Retraversant la Seine par son chemin habituel, il réussit à échanger quelques mots avec le général Lafayette, passe 10 rue de Gramont chez Etienne Arago et l’entraîne au National où, au milieu de la nuit, ils créent un fantômatique gouvernement provisoire.

Le matin du 29, Dumas rejoint six à huit cents insurgés place de l’Odéon et se retrouve avec une bonne centaine d’entre eux à vouloir atteindre le Louvre par le pont des Arts. Il trouve un abri et un poste d’observation au sortir de la rue Mazarine, face au pont, derrière un des quatre lions de bronze situés devant le palais de l’Institut (et, depuis 1950, dans un jardin public à Boulogne-sur-Seine, rue de Silly). Lorsque les insurgés tentent de franchir le pont, ils sont mis en déroute, et Dumas se réfugie un instant à l’intérieur de l’Institut et regagne le 25 rue de l’Université pour se changer et recharger son fusil. C’est à ce moment qu’il entend un grand remue-ménage du coté du château des Tuileries qui, encerclé de toutes parts, vient d’être pris. Dumas se précipite alors, et pénètre dans les appartements royaux à la suite de tout un peuple.
Il part ensuite en quête d’Oudard, d’abord 216 rue Saint-Honoré puis le trouve chez le banquier Laffitte, dans son hôtel situé à l’actuel 27 rue Laffitte (alors dénommée rue d’Artois). Des députés tiennent là conciliabule. La Fayette s’y retrouve également, et, à la demande générale, se rend à l’hôtel de Ville, que les insurgés occupent depuis le début de matinée. Dumas suit le même chemin et, décidé à ne rien perdre, s’installe chez un marchand de vin situé au coin de la place de l’hôtel de Ville et du quai de Gesvres, avant de s’installer pour la nuit dans un cabinet de l’hôtel de Ville.

C’est à l’Hôtel de Ville [3] que, le 31 juillet, le duc d’Orléans rejoint La Fayette et les insurgés pour faire comprendre au peuple que la République est encore un régime trop risqué pour le moment, mais que lui, duc d’Orléans, représente la meilleure chance pour le pays. En deux temps trois mouvement, la partie est emportée, au grand contentement de Laffitte [4], du National, des députés, d’une partie du peuple et d’une majorité de pairs de France, et au grand mécontentement des républicains « extrémistes » et des partisans de Charles X.

[1] « La grande symphonie de juillet 1830 », écrit-il dans Splendeurs et misères des courtisanes, dont l’action principale se déroule juste avant.

[2] Il croise peut-être sans le savoir Stendhal, qui demeure alors au n°69 (dans un hôtel qui n’existe plus aujourd’hui), relit les épreuves du Rouge et le noir et est tout à ses amours avec Giulia Rinieri de’Rocchi. Le roman, dont la première idée remonte à l’automne précédent, sort en novembre 1830. La composition du livre s’est interrompue fin juillet, les typographes se trouvant sur les barricades. Stendhal ne sort guère de son appartement durant ces trois jours. Il visite cependant Giulia le 29, dans l’appartement qu’elle habite 8 rue d’Anjou, dans le même immeuble que La Fayette. Stendhal a quarante-sept ans, se consacre depuis quelques années à l’écriture parce que sa carrière de fonctionnaire piétine. La révolution de juillet lui redonne le goût de la politique et, à son initiative, il sera bientôt nommé consul à Trieste puis à Civita-Vecchia.

[3] L’Hôtel de Ville actuel date des années postérieures à la Commune de 1871, qui a entièrement détruit le bâtiment de l’époque des Trois Glorieuses.

[4] Ministre des Finances et président du Conseil en novembre 1830, Jacques Laffitte en démissionne en mars 1831 et sera député de l’opposition jusqu’à sa mort en 1844.



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