Promenade parisienne dans le Marais sur les pas de Balzac et de ses personnages

Le mercredi 8 février 2012.

Le quartier du Marais est le premier visage que le jeune Honoré découvre de la capitale. Exceptées les années 1821-22 passées à Villeparisis, il habite le Marais entre 1814 (il a quinze ans) et 1824.

Le quartier, occupé par la noblesse avant la Révolution, est peu à peu investi par la bourgeoisie qui commence à y installer des petites industries, comme César Birotteau sa fabrique de parfums. Il est encore aujourd’hui constellé d’orfèvres, de graveurs et autres décorateurs de métaux.

Dans La Comédie humaine, c’est un quartier silencieux vivant quasiment en autarcie, peuplé de sédentaires, d’églises et de curés. Il suffit de s’y promener un dimanche matin pour en apprécier la tranquillité.

1) Au 36 rue du Temple (donc proche de l’étape suivante, la rue du Temple ne commençant alors qu’au niveau de la rue Michel-le-Comte), le libraire-éditeur Pollet signe à Balzac un de ses premiers contrat en 1822.

2) En 1814, la famille Balzac s’installe à Paris, venant de Tours. Elle trouve à se loger au 40 (actuel 122 [1]) de la rue du Temple (ils reviendront vivre quelques temps ici en 1822).
Honoré a deux sœurs, Laurence et Laure, et un frère, Henri. C’est à Paris seulement qu’il commence à vivre avec ses parents : ses quatre premières années se sont déroulées chez une nourrice à Saint-Cyr-sur-Loire ; puis il a été placé chez une autre famille à Tours avant d’être, entre 1807 et 1813, interne au pensionnat des Oratoriens de Vendôme et de passer enfin quelques mois au lycée de Tours. En fait, Honoré ne va pas tellement vivre davantage avec ses parents car, étudiant au lycée Charlemagne, il se retrouve vite pensionnaire en institution – voir ci-dessous.
Son énergie surhumaine, il la tient de Bernard-François, son père, qui, grâce à son flair commercial (il approvisionne les armées napoléoniennes en fournitures), sa vitalité et son habileté financière, a réussi en affaires en partant de rien. De la froideur, de l’avarice et du caractère angoissé de sa mère, il héritera heureusement moins (« Je n’ai jamais eu de mère ! », écrira-t-il plus tard).

3) Au 17 rue Portefoin, les Balzac, qui ont quitté en 1819 la rue du Temple pour Villeparisis, gardent un pied-à-terre parisien. Honoré y séjourne lorsqu’il n’est pas à Villeparisis. C’est ici que, poussé par un gratte-papier dont il a fait connaissance – Auguste Le Poitevin de l’Egreville, il co-écrit des romans à la chaîne (une vingtaine en 1822) sous différents pseudonymes, ce qui rassure ses parents : au moins, il gagne un peu sa vie, et sans souiller le nom Balzac.

4) Au n°3 de cette rue Portefoin, les Berny, amis et voisins des Balzac à Villeparisis, ont leurs quartiers d’hiver. Cette double proximité a une conséquence : depuis 1822, Laure de Berny, 44 ans, et Honoré, 23 ans, sont amants. Cette adresse est un de leurs lieux de rencontre.
Ce premier grand amour de l’écrivain lui apporte ce qu’il recherchera toujours auprès d’une femme : la noblesse avec particule, un mieux-être financier… et une véritable mère, capable de l’aimer et de l’encourager dans ses projets. Laure est la belle-fille du chevalier de Jarjailles, qui tenta de faire évader Marie-Antoinette emprisonnée à la Conciergerie. Elle est mère de sept enfants – dont une fille plus âgée qu’Honoré – et déjà grand-mère. Qu’importe, elle sera son amante et muse jusqu’en 1833, et l’inspiratrice du Lys dans la vallée.

5) Une des adresses du forçat évadé Ferragus est le 12 rue des Enfants-rouges. Cette rue existait entre la rue pastourelle et la rue Portefoin. La rue des Archives l’a remplacée à hauteur de ses numéros 69 à 87 et 78 à 96.

6) Au 3 rue Pastourelle (qui ne portait alors ce nom qu’à l’Ouest de la rue des Archives), le libraire Buissot signe un contrat à Balzac en 1823, pour l’édition d’ouvrages « usinés » avec – ou sans – Auguste Le Poitevin.

7) Au 33 bis de la rue Charlot, le sympathique marché des Enfants-rouges existait déjà au temps de Balzac. Il est ouvert tous les jours sauf le lundi. Les enfants rouges étaient au XVIe siècle les orphelins de Paris, habillés d’un uniforme rouge et accueillis à l’hôpital des Enfants-rouges qui se trouvait entre 1534 et 1772 à peu près à l’angle de la rue des Archives et de la rue Portefoin. Au 90 de la rue des Archives, dans la cour à gauche, subsistent des vestiges du mur de la chapelle de l’hôpital.

8) Dans la partie de la rue Charlot située entre les rues de Bretagne et de Poitou, les Balzac ont un pied-à-terre lorsqu’ils regagnent Villeparisis au printemps de 1824.

9) Le Cousin Pons habite, avec son ami Schmucke, dans une maison de la rue de Normandie. Ne nous y engageons pas et poursuivons en remontant la rue Charlot.

10) A l’angle de la rue Charlot et du boulevard du Temple (n°27 actuel), se trouvait le restaurant du Cadran Bleu. A côté, au n°29 actuel (annexe de la bourse du travail), se trouvait le Café Turc, rendez-vous des élégants et des élégantes. On retrouve ces deux établissements dans plusieurs endroits de La Comédie Humaine. Balzac note bien qu’ils sont à la mode jusque dans les années 1820, époque à laquelle le boulevard des Italiens commence à détrôner le boulevard du Temple.
En face, on aperçoit le n°42 du boulevard, qui sera la demeure de Flaubert entre 1856 et 1869.

11) Au 48 boulevard du Temple se trouvait le théâtre du Panorama-Dramatique, où joue Coralie et où Lucien de Rubempré fait sa connaissance dans Les Illusions perdues. Aux 68 et 70 du boulevard se tenait le théâtre de la Gaieté, de moindre renommée, où l’on va souvent dans La Comédie humaine.

12) Amoureuse (pour sa gloire et sa perte) de Lucien, Coralie habite rue de Vendôme (devenue Béranger), au premier étage d’une belle maison (qui pourrait ressembler au 5, où décède le poète Béranger en 1857 ?). Lucien s’installe dans une autre maison de la rue lorsqu’ils font vie commune tout en souhaitant sauver les apparences.
La gloire de la rue se trouve aujourd’hui au n°11, avec le siège du quotidien Libération. Entre le 16 et le 18, le passage Vendôme rappelle l’ancien nom de la rue.
Nous nous engageons ensuite dans la longue rue de Turenne, fruit de la réunion en 1865 de deux rues : celle du Val-Sainte-Catherine (au sud de la rue des Francs-Bourgeois) et la rue Saint-Louis-au-Marais.

13) Dans un hôtel à l’angle de la rue Vieille-du-Temple (au 110 ?) et de la rue Debelleyme (autrefois appelée rue Neuve-Saint-François – c’est encore gravé dans la pierre à l’angle de la rue de Thorigny) vivent le comte et la comtesse de Granville dans Scènes de la vie parisienne. La rue Vieille-du-Temple est sans doute la rue du Marais la plus fréquentée par les personnages de La Comédie humaine.

14) Les Balzac habitent 7 rue du Roi Doré entre fin 1822 et début 1824.

15) Au 5 rue de Thorigny, l’hôtel Salé abrite aujourd’hui le musée Picasso. En 1815, il hébergeait l’Institution Ganser et Beuzelin, dont Balzac est pensionnaire après avoir quitté la pension Lepître.

16) Dans Splendeurs et misères des courtisanes, Nucingen est conduit au 4e étage d’un immeuble de la rue Barbette par les complices de Vautrin. C’est là qu’il peut enfin rencontrer Esther Gobseck, dont il est tombé amoureux en l’apercevant dans son fiacre. Aujourd’hui, les immeubles n°3 ou 9, ou les n°12 à 22 conviendraient assez bien au décor.

17) Après le suicide d’Esther, Vautrin et Rubempré sont conduits à la prison de la Force avant d’être transférés à la Conciergerie. De 1780 à 1845 environ, la prison de la Force s’est tenue entre l’hôtel de Lamoignon, 24 rue Pavée, et la rue du Roi de Sicile, entre le 12 et le 22 rue Pavée. En 1853, la rue Malher est percée sur l’emplacement de la prison détruite. Seul vestige qui en demeure aujourd’hui : le pan de mur que l’on voit s’avancer dans la rue Pavée à droite de l’hôtel de Lamoignon.

18) La pension Lepître, 37 rue de Turenne (ancien 9 rue Saint-Louis), accueille Honoré en 1814, lorsqu’il entre au lycée Charlemagne, situé rue Charlemagne. Le directeur de la pension est royaliste. On dit qu’il a été des complots visant à faire évader Marie-Antoinette de la prison du Temple, non loin. Mais le jeune Honoré et ses camarades sont alors plus fervents de Napoléon que de l’ancien régime. Le début du Lys dans la vallée décrit la jeunesse de Félix de Vandenesse et a un moment pour cadre la pension Lepître.

19) Rue de Béarn (alors chaussée des Minimes) se trouve vers 1831 l’hôtel de l’usurier/marchand de tableaux Elie Magus qui, en 1845, parvient à s’introduire chez le cousin Pons et à acheter pour une bouchée de pain des œuvres de maîtres.

20) Les Balzac, qui viennent de quitter Villeparisis, habitent 7 rue de Turenne à partir de novembre 1822. Ils regagnent Villeparisis au printemps 1824.

21) L’immeuble du 9 rue Lesdiguières de l’époque a été supprimé par le percement du boulevard Henri IV. Honoré occupe ici une pauvre chambre d’août 1819 à janvier 1821. Il a obtenu son baccalauréat de droit en janvier 1819 mais a déclaré à ses parents quelques semaines plus tard qu’il voulait être écrivain. Les revenus de son père s’amenuisant (la paix revenue après les guerres napoléoniennes, l’armée commande moins de fournitures), ses parents s’installent à Villeparisis pour mener une vie plus économe que dans la capitale. De guerre lasse – et sans doute ce projet aventureux ne déplaît-il pas entièrement au père, les parents cèdent devant l’entêtement d’Honoré, qui s’isole dans sa chambre.
Il écrit une tragédie sur Cromwell qui ne plaît à personne, même pas à ses proches. Il vit ensuite avec ses parents à Villeparisis en 1821-22, faisant des escapades régulières jusqu’au 17 rue Portefoin, le pied-à-terre familial. Ensemble, ils emménagent à nouveau à Paris, 7 rue du Roi-Doré.

[1] L’adresse n’est pas facile à situer précisément aujourd’hui.



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