« […] cette magnifique plénitude de lumière a sur moi, mortel très supplicié (et si souvent désireux de mourir) une action quasi miraculeuse. […] La partie française de Nice m’est insupportable et forme presque une tache dans cette splendeur méridionale ; mais il y, en outre, une ville italienne - c’est là, dans les quartiers les plus anciens, que j’ai loué, et lorsqu’on est obligé de parler, c’est en italien : on y est comme dans une banlieue de Gênes. »
Lettre à Peter Gast, 4 décembre 1883.
« Et ces couleurs de Nice ! C’est dommage que je ne puisse les détacher et te les envoyer […]. »
Nietzsche à sa soeur.
Nietzsche a besoin d’un paysage pour penser, et ce paysage, il le trouve à Nice et dans ses environs, où il passe les hivers 1883 à 1887.
La région lui offre non seulement lumière, soleil et chaleur, mais aussi cosmopolitisme, innocence et liberté. La ville baigne à ses yeux dans la philosophie grecque. Il y sent quelque chose de « vainqueur et de sureuropéen » [1]. Il se considère méditerranéen plus qu’allemand. Tout cela contribue à alimenter son oeuvre en énergie vitale. Bref, pour lui, Nice, c’est l’état de grâce, entrecoupé d’excès de solitude.
Il y séjourne à cinq reprises.
Une chambre du 38 rue Ségurane (plaque) l’accueille début décembre 1883. Puis il s’installe villa Mazzoleni, puis pension de Genève, dans la petite rue Saint-Etienne (aujourd’hui rue Rossini). Il traverse une crise de solitude après son échec avec Lou-Andrea Salome, son éloignement d’avec Wagner et la mauvaise réception par le public de ses ouvrages. Il lit revues et journaux français et travaille à Zarathoustra. Ses promenades de six à huit heures par jour le mènent sur la presqu’île de Saint-Jean, au Mont-Boron et sur le chemin qui conduit à Eze, devenu depuis "le sentier de Nietzsche". Il explique en particulier dans Ecce homo que le chapitre Des vieilles et des nouvelles Tables a été composée lors d’« une montée des plus pénibles de la gare au merveilleux village maure Eze, bâti au milieu des rochers », et que plus la puissance créatrice est forte chez lui, plus ses muscles sont agiles.
Ce premier séjour s’achève fin avril 1884.
Le second se déroule entre début décembre 1884 et début avril 1885. Le voici de nouveau à la pension de Genève où il achève Zarathoustra en février-mars. Il fait éditer cette dernière partie à compte d’auteur… quarante exemplaires seulement !
Son troisième séjour débute à la pension de Genève mi-novembre 1885. Il la quitte le 26 pour le 26 rue François de Paule, après qu’un pensionnaire l’a involontairement humilié en lui proposant de l’aider à couper sa viande ! S’étant ainsi rapproché de l’opéra municipal (où il assiste pour la vingtième fois à une représentation de Carmen), il s’immerge dans la vie musicale niçoise. Sa fenêtre donne sur le square des Phocéens (actuels jardins Albert-1er).
Il achève alors l’écriture de Par-delà le bien et le mal. Il apprécie la solitude et souffre en même temps de ne parvenir à rassembler autour de lui un petit cénacle d’esprits éclairés.
« Je veux fonder une nouvelle classe : un ordre d’êtres supérieurs auprès desquels les esprits et les consciences en détresse puissent venir prendre conseil ; des êtres qui, comme moi, sachent non seulement vivre par-delà les dogmes politiques et religieux, mais qui aient également dépassé la morale », écrit-il [2].
Son quatrième séjour s’étend de fin octobre 1886 à début avril 1887, d’abord à la pension de Genève puis au 1er étage du 29 rue des Ponchettes à partir de janvier. Il s’offre enfin un poêle à bois et travaille sur le 5e livre du Gai savoir.
Il garde tout son calme pendant le tremblement de terre qui secoue la ville le 23 février.
Son dernier hiver à Nice a lieu d’octobre 1887 à début avril 1888, dans la pension de Genève que sa vétusté conduit bientôt à sa démolition. Il lit Maupassant, Baudelaire, Bourget, les Goncourt, Taine…
Une crise de folie le terrasse en janvier 1889 à Turin.
Sources :
Christian Arthaud, Eric L. Paul, La Côte d’Azur des écrivains, Edisud, Aix-en-Provence, 1999,
www.hypernietzsche.org/nnc/more/kassile.html.
Autre ressource bibliographique :
Nietzsche à Nice, Maurice Mignon, Nice, Impr. Meyerbeer, 1960.