L’aîné, Edmond, naît à Nancy en mai 1822 et Jules, son cadet de huit ans, naît pendant les troubles politiques de 1830. Mais très vite, leurs proches disparaissent : le père meurt alors qu’il sont tout jeunes et deux ans après, leur soeur est emportée par le choléra. En 1848, c’est au tour de leur mère de rejoindre son mari et sa fille. Edmond se sentira alors responsable de son jeune frère. « Ma mère, sur votre lit de mort, vous avez mis la main de votre enfant chéri et préféré dans la mienne, en me recommandant cet enfant avec un regard qu’on n’oublie pas », dira-t-il avec émotion.
Leur seule consolation, c’est de pouvoir abandonner un travail qu’ils ne prisent guère pour vivre assez confortablement de leur héritage et se consacrer pleinement à leur passion : l’art et la littérature. En fait, touche-à-tout des arts, ils s’essayent à différente formes : le dessin et l’aquarelle, les techniques de l’eau-forte et de la gravure, s’improvisent tour à tour antiquaires - Edmond est un incorrigible collectionneur - historiens, journalistes et enfin… romanciers.
Le berceau familial
Goncourt est un village de Haute-Marne, entre Champagne et Lorraine, sur les bords de la Meuse. C’est là que les frères Goncourt puisent leurs racines et passent toutes leurs vacances de jeunesse. La papèterie acquise en 1786 par leur arrière grand-père témoigne de ce passé familial à Goncourt et dans la commune voisine de Bourmont.
C’est dans ce chef-lieu de canton qu’ont vécu leurs aïeux : Jean-Antoine Huot de Goncourt (1753-1832) qui sera magistrat de la Sûreté Impériale à Neufchateau, ses deux fils Pierre-Antoine Huot de Goncourt (1783-1867), officier d’artillerie sous l’Empire et député des Vosges aux Assemblées Nationales de 1848 et 1849, et Marc-Pierre Huot de Goncourt, père d’Edmond et de Jules.
Les deux frères font de nombreux séjours de 1834 à 1878 chez leurs cousins Labille à Bar-sur-Seine, qu’ils évoquent dans leur journal.
Ils se rendent aussi souvent en vacances chez leur oncle qui habite une superbe demeure du XVIIIème siècle, appelée maintenant La maison des Goncourt, située au n°2 de la place Jeanne d’Arc dans la petite ville de Neufchâteau dans les Vosges.
Le Grenier des Goncourt à Paris
En 1868, à la recherche d’un peu de calme et de verdure, Jules et Edmond de Goncourt quittent la rue Saint-Georges dans le 9ème arrondissement pour aller s’installer dans la maison d’Auteuil située Boulevard de Montmorency [1]. Celle qu’on appela la maison des Goncourt [2] se présentait comme un salon de peinture car chaque pièce correspondait à une collection spécifique. Edmond en fait le tour du propriétaire dans son livre La maison d’un artiste paru en 1880, avec un grand souci du détail. [3]
C’est un petit hôtel particulier sans confort les premiers temps, avant qu’ils fassent exécuter des travaux. Ils espèrent y trouver le calme au milieu de leurs œuvres d’art, notamment des bronzes japonais et des porcelaines de Chine. Le petit salon tendu d’andrinople rouge contenait des dessins, des lavis, des aquarelles d’Oudry, de La Tour, de Boucher, de Watteau et d’Hubert-Robert et le grand salon, des terres cuites de Claudion. La salle à manger, permettait d’exposer des bronzes du XVIIème, l’escalier des albums japonais, le cabinet de toilette des porcelaines de Saxe et le boudoir, des tapis persans. Ils feront ensuite aménager le second étage pour exposer toutes leurs collections et recevoir le dimanche après-midi une brillante société littéraire formée notamment d’Emile Zola, Alphonse Daudet, Guy de Maupassant, Huysmans, Théophile Gautier…
Jules n’en profitera pas beaucoup puisqu’il meurt de maladie en 1870, Edmond lui survivant jusqu’en juillet 1896, date à laquelle il est victime d’un bain trop froid et décède dans les bras d’Alphonse Daudet à Champrosay dans l’Essonne [4].
Il faudra attendre la vente de la maison et la première réunion le 26 février 1903 des sept premiers membres du groupe, Huysmans, Octave Mirbeau, Léon Hennique, Gustave Geffroy, les deux frères Rosny et Paul Margueritte, dans un salon du Grand Hôtel, près de l’Opéra [5] pour que naisse L’Académie Goncourt et son célèbre prix.
Voir aussi
un article du Magazine littéraire
La maison des Goncourt
un article sur la maison de l’avenue de Suffren,
un article sur la crèmerie de la rue Saint-Georges
Christian Broussas
[1] au 53 de l’avenue de Montmorency, devenu aujourd’hui le numéro 67
[2] La maison est devenue le siège de la Maison des écrivains et de la littérature (Mel), qui a pour vocation de fédérer les écrivains et de les représenter, de les défendre et, à travers eux, de promouvoir la littérature
[3] Les chapitres ont pour titre : Le Vestibule, La salle à manger, les salons, l’Escalier, le Cabinet d’Extrême-Orient
[4] Acquise quelques années après le mariage d’Alphonse Daudet avec Julia Allard, originaire de Draveil, la maison de Champrosay est le lieu de villégiature estivale de prédilection de l’écrivain
[5] Rejoints plus tard par Léon Daudet, Élémir Bourges et Lucien Descaves