Les exilés antifascistes

dans le Paris des années trente
Le dimanche 13 mars 2005.

Depuis des mois, le contexte international est dramatique. La grande crise économique sévit depuis 1930 en France et en Europe. Le Japon attaque la Mandchourie en 1931. Mussolini prépare l’invasion de l’Ethiopie pour 1935. Hitler accède au pouvoir début 1933. Pierre Mac Orlan couvre l’événement pour Paris-Soir. Ni Mac Orlan, ni François-Poncet, l’ambassadeur de France à Berlin, ni l’opinion publique française ne prend alors les choses au sérieux. Mais les intellectuels allemands, premières cibles des nazis, émigrent bientôt en masse vers les autres pays européens - pour une courte durée, pensent-ils, car beaucoup estiment encore que le parti nazi ne pourra rester longtemps au pouvoir. La France accueille ces réfugiés pendant quelques semaines, puis leur ferme ses frontières, confiant la gestion du problème à la Société des Nations.

En même temps, le ressentiment anti-juifs s’exprime au grand jour en France au milieu des années trente, d’abord pour des raisons économiques, suite à l’afflux d’immigrés juifs d’Europe de l’Est, puis pour des raisons politiques avec l’arrivée de Léon Blum à la tête du gouvernement de Front populaire. La propagande nazie fait son chemin à travers meetings et conférences. Le Comité France-Allemagne, créé par Otto Abetz en 1935 [1], invite les élites des deux pays à œuvrer pour la paix en Europe, sous-entendu contre le bolchevisme. Le Comité publie les Cahiers franco-allemands, qui parviennent à rassembler des signatures aussi diverses que celles de Giraudoux et Jules Romains. À Paris, le Cercle Rive Gauche, créé en 1934, se rallie au Comité France-Allemagne et organise des conférences à la salle des Sociétés Savantes 8 rue Danton, au théâtre du Vieux-Colombier, au cinéma Bonaparte place Saint-Sulpice, autour de Maurras, Bertrand de Jouvenel, Montherlant, etc.

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La dernière demeure de Joseph Roth, 18 rue de Tournon.

Émigrés allemands, russes et d’Europe de l’Est, chassés de leur pays par le nazisme ou le communisme, connaissent à Paris les mêmes conditions de misère matérielle et psychologique. Le gouvernement français continue d’entretenir jusqu’à 1939 des relations officielles avec l’Allemagne nazie et avec le pays de Staline, dont il n’a reconnu officiellement l’existence qu’en 1924.

Sillonnons les rues de la capitale à la recherche des émigrés des années trente, qui, pour la plupart, survivent d’hôtel en hôtel, sans argent, sans lien à leur patrie et seulement tolérés dans le pays qui les accueille.

André Malraux habite 44 rue du Bac (plaque) entre 1932 et sa séparation avec Clara en 1937. Son appartement est un lieu de rencontre pour des Allemands qui ont trouvé refuge à Paris, et moins pour les émigrés russes, Malraux ayant choisi de s’allier au pouvoir stalinien pour lutter contre le fascisme.

Le 15 février 1936, la poétesse émigrée Marina Tsvetaeva participe 12 rue de Buci à une soirée littéraire donnée au siège de l’Union pour le Retour dans la Patrie, association pilotée par l’ambassade d’URSS. Marina, arrivée à Paris fin 1925, et son mari Serge, de russes blancs, sont devenus rouges.
Elle loue en 1938 une chambre à l’hôtel Innova, 32 boulevard Pasteur. En juin 1939, n’y tenant plus, elle regagne l’Union soviétique pour s’y suicider deux ans plus tard.

La « Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale », que l’on peut admirer encore aujourd’hui en face de l’église Saint-Germain-des-Prés, est un lieu de conférences apprécié des exilés allemands pendant les années trente.

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L’hôpital Necker.

Après la suppression en 1934 des bastions qui les avaient d’abord hébergés le long des fortifications de Paris, les exilés allemands investissent les chambres des hôtels miteux du Quartier latin. Autrichiens et allemands rejoignent parfois Joseph Roth à sa table du café de Tournon, à gauche près de la fenêtre [2] : Stefan et Friderike Zweig, Arthur Koestler, Gustav Regler, etc., ces deux derniers trouvant aussi à se loger dans un hôtel de la rue. L’auteur de La Marche de Radetzky, abîmé par l’alcool, sans espoir depuis l’invasion de l’Autriche par les nazis, décède en 1939, à 45 ans, à l’hôpital Necker. Les émigrés allemands se retrouvent aussi les lundis soirs au café Méphisto, boulevard Saint-Germain.

L’Hôtel Lutetia, 45 boulevard Raspail, est une étape favorite d’Heinrich et Klaus Mann dans les années 1930.

Willi Münzenberg, discret chef de la propagande de l’Internationale communiste (Komintern) en Occident, mène son travail de sape depuis le 83 boulevard du Montparnasse. Arthur Koestler arrive à Paris en 1933 pour travailler avec lui.

Manès Sperber, qui habitera 83 rue Notre-Dame-des-Champs (plaque) à partir de 1972, travaille également avec Münzenberg et Koestler à Paris où il arrive en 1934. Il fréquente les Malraux rue du Bac et est une des sources d’inspiration de Malraux pour Le Temps du mépris publié début 1935. Ce court roman est l’histoire du destin idéalisé d’un écrivain communiste emprisonné par les nazis, puis libéré grâce à l’aide d’un camarade.

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L’hôtel Innova, 32 boulevard Pasteur.

À partir du 30 décembre 1933 et pendant deux jours, Léon Trotski utilise incognito une chambre dépendant de l’appartement des Weil, au 7e étage du 3 rue Auguste Comte, pour rencontrer plusieurs personnes, dont Simone Weil, avec qui il a une chaude discussion au sujet de l’URSS. Il sera bientôt persona non grata en France.
Au milieu des années trente, Simone fait accueillir ici des exilés allemands par ses parents.

Une chambre au 10 rue Dombasle est le dernier domicile parisien de Walter Benjamin. De sous-location en hôtel bon marché, il habite la capitale par période depuis plusieurs années. En mars 1926, il s’était installé à l’Hôtel du Midi, 4 avenue du Parc Montsouris. Après la déclaration de guerre en septembre 1939, il s’éloigne quelque temps de Paris : il est interné au « camp des travailleurs volontaires », au clos Saint-Joseph à Nevers. Libéré grâce à l’intervention d’Adrienne Monnier et de Jules Romains, il réintègre sa chambre, poursuivant ses recherches à la Bibliothèque nationale pour son ouvrage Paris, capitale du XIXe siècle. L’été 1940, l’invasion allemande le chasse vers le Sud. Il espère passer en Espagne et s’embarquer pour New-York, mais la mort l’attend en route.

Changeons de quartier, direction le XVIe arrondissement.
Nina Berberova et Marina Tsvetaeva sont toutes deux présentes le 31 octobre 1937 aux obsèques d’un prince russe à l’église russe du 39 rue François-Gérard. Marina et son mari, soupçonnés de travailler pour le NKVD, ont été mis au ban de la communauté russe de Paris. C’est dans cette même très discrète église que le 16 juin 1939 ont lieu les funérailles de Khodassevitch, le compagnon de Nina Berberova.

Petite bibliographie
Le Paris exilés allemands, Evelyne Bloch-Dano, le Magazine littéraire n°403, Novembre 2001.
Pour la défense de la culture, les textes du Congrès international des écrivains, Paris, juin 1935. Textes réunis par Sandra Teroni et Wolfgang Klein, Editions Universitaires de Dijon, 4 bd Gabriel, 21000 Dijon. 40 euros.
Joseph Roth, David Bronsen, Paris, Seuil, 1994.

[1] Abetz avait initié dès 1930 - donc avant l’accession des nazis au pouvoir - des rencontres d’échange entre Allemands et Français au sein du « Cercle du Sohlberg ». Il travaillera bientôt sous les auspices de Joachim von Ribbentrop, futur ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich. Marié à une Française en 1932, il s’établit en France, dont il est expulsé en 1939. Il y reviendra quelques mois plus tard en vainqueur.

[2] L’hôtel Foyot, 33 rue de Tournon, est d’abord le havre de paix de Joseph Roth entre 1927 et sa destruction en 1937, date à laquelle Roth déménage à l’hôtel Paris-Dinard puis à l’hôtel de la Poste, en face du Foyot et au-dessus du café Le Tournon, 18 rue de Tournon, où il vit jusqu’à sa mort en mai 1939. Comme d’autres de ses compatriotes, il s’installe aussi pendant un moment à l’hôtel Helvétia, 23 rue de Tournon.



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