Comme le remarque Patrick Bachelier dans la revue Le Pays de Fougères (n°120), Jean Guéhenno, fils de coordonnier comme Louis Guilloux et Jean Giono, n’a pas eu leur imagination fertile. Guéhenno a écrit de nombreux essais et ouvrages autobiographiques, mais guère de roman (seulement La Jeunesse morte, posthume).
Il en donne lui-même l’explication : "Avant ma quinzième année, je n’eus que mes livres de classe. Je n’ai jamais lu pour m’amuser. C’est monstrueux. De là peut-être ce manque affreux d’imagination".
C’est une des raisons qui font que Jean Guéhenno est peu connu aujourd’hui… et que, comme souvent avec d’autres grands honnêtes hommes, chaque facette que l’on découvre de son oeuvre et de sa vie provoque une émotion nouvelle et dessine de nouveaux horizons. Il n’y a qu’à lire le Journal d’un homme de quarante ans pour découvrir l’enfance d’un écrivain, et le Journal des années noires pour accompagner au quotidien un homme qui voit l’univers s’effrondrer autour de lui.
Sa ville natale, Fougères, garde de multiples traces de l’écrivain et de ses parents, pour qui veut marcher sur leurs pas.
Jean-Marie, son père, est ouvrier dans la chaussure, conseiller municipal et syndicaliste membre de l’Union Compagnonnique de Fougères (la "Cayenne"), dont, au début des années 1900, les réunions ont lieu dans le café des Guéhenno (voir plus bas). Angélique, la mère de Jean, est à la maison, affairée sur sa machine à coudre entre 5 heures du matin et 11 heures du soir. Elle mourra d’épuisement avant l’heure. La vie chez les Guéhenno est soudée mais difficile.
La liste de leurs domiciles donne une idée de cette quête permanente d’une meilleure existence, dans les quartiers laborieux de Fougères.
Jean-Marie Guéhenno habite 25 rue Chateaubriand en 1886.
Jean naît en 1890 dans une maison de la rue Nélet (alors rue Forest). Jusqu’à ses 5 ans, il est en nourrice à Peïné, chez sa grand-tante maternelle. Il estime dans les premières lignes du Journal d’un homme de 40 ans que ce fut une chance qui lui permit de connaître la campagne et d’échapper quelque temps à l’étau de la vie que menaient ses parents, travaillant du matin au soir.
La famille demeure dans une pièce unique – à la fois chambre, cuisine, salle à manger, salon, atelier de couture et arrière-boutique de cordonnier – au 3e étage de la maison du maçon Pierre Bruant, 39 rue de Nantes, de 1891 ou 1892 à 1899. Puis elle occupe à partir de 1899 le café qui existe toujours à l’angle de la rue de l’Abbé Joly et de la rue de Bonabry. A quelques mètres, la salle de cinéma était à l’époque l’usine de chaussures Tréhu, où Jean, quittant le collège, est employé aux écritures à partir de 14 ans, lorsque son père est trop malade pour faire vivre la famille. C’est là que Jean assiste en 1906 à la grande grève des ouvriers de la chaussure, qu’il décrit dans le Journal d’un homme de 40 ans.
Les Guéhenno occupent différentes adresses dans la rue des Feuteries toute proche : le n°10 en 1902, le n°11 (amputé) en 1904, le n°4 (disparu) en 1906, le second étage du 43 en 1909.
Jean Guéhenno arrive à Paris en 1910 après le décès de son père et après avoir obtenu sa licence ès lettres.
(à suivre…)
Sources :
Les articles que Patrick Bachelier, biographe de Guéhenno, lui a consacrés dans la revue Le Pays de Fougères (n°102, 103, 110, 120, 123, 128, 137).
Journal d’un homme de 40 ans, Jean Guéhenno.
A lire :
Jean Guéhenno, par Patrick Bachelier et Alain-Gabriel Monot, Rennes, 2007, éditions La Part Commune.